Treizième et quatorzième jours
Explorez le voyage en gondole de Pepe Roncino à Venise. Découvrez le célèbre pont du Rialto, son marché animé, et l'îlot paisible de San Cassiano pour une expérience inoubliable au cœur de la Sérénissime.
Emeric Cristallini
9/21/202529 min temps de lecture


Treizième jour : San Giacomo di Rialto


Pepe Roncino
Tu es prête, Tintoretta ?
Tintoretta
Oui, je suis prête ! On va où aujourd’hui ?
Pepe Roncino
On va visiter l’îlot de San Giacomo di Rialto. On est parti ! On rejoint le Grand Canal et l’on va vers le pont du Rialto… On longe le palais Donà della Madonnetta, de style vénéto-byzantin, appelé ainsi du fait d’un bas-relief du XVème siècle représentant une Vierge à l’Enfant ; puis le palais Papadopoli, construit au milieu du XVIème siècle, qui abrite des instituts de l’Université Cà Foscari…
Tintoretta
Encore un magnifique endroit pour étudier !
Pepe Roncino
On va tourner à gauche à l’angle de ce palais pour rejoindre le rio di San Silvestro… puis celui delle Beccarie à droite … On s’arrête sur le campo delle Beccarie (beccai, c’est-à-dire bouchers)…




Ici se trouve un des restaurants fréquentés par Casanova : le Poste Vecie










Aujourd’hui, on va visiter le centre marchand de Venise, avec notamment le grand marché alimentaire quotidien.


Et on va voir le fameux pont du Rialto !




Tintoretta
Il y a aussi des églises dans cet îlot ?
Pepe Roncino
Oui, il y en a quatre ! Mais on va d’abord se promener dans la zone du marché, tant qu’il n’y a pas encore trop de monde ! On prend la ruga dei Spezieri ou Speziali. La ruga est une rue, plus large qu’une calle, plus récente aussi, où des habitations et des commerces avaient leur façade principale, alors que dans les calle, la façade principale donnait sur le canal. Spezieri signifie apothicaires mais aussi droguistes et épiciers. Dans cette ruga, on trouvait des vendeurs en gros d’épices mais aussi des raffineurs de sucre et des fabricants d’huile d’amande… On continue tout droit par la ruga dei Oresi ou orefici (des orfèvres) : les orfèvres se regroupaient ici car par une délibération du 23 mars 1331, le Grand Conseil avait ordonné que les orfèvres ne pourraient pas avoir de boutique ailleurs que dans cet îlot. Sur le côté droit, il y a cette longue galerie, la Drapperia où on vendait, outre des bijoux, des soies et des tissus précieux…. Maintenant aussi des vêtements…
Tintoretta
On voit le pont du Rialto !
Pepe Roncino
Oui, on est en face des grands escaliers du pont. On va s’arrêter sur le campo San Giacomo di Rialto.


L’église San Giacomo di Rialto fut le premier édifice en pierre de Venise.




Tintoretta
Elle est toute petite !
Pepe Roncino
Oui, c’est pour cela qu’on l’appelle aussi San Giacometto. Selon la légende, la pose de la première pierre de cette église aurait été l’acte fondateur de Venise. Lorsque cette zone du Rialto fut dévastée par un incendie en 1514, un certain Marin Sanudo écrivit : « Seul resta sur pied l’église de San Giacomo di Rialto, laquelle fut la première église édifiée à Venise l’an 421 et le jour du 25 mars ». Selon la plupart des historiens, elle aurait plutôt été construite aux XIème-XIIème siècles pour les marchands qui vendaient sur le marché, comme on peut le lire sur des inscriptions sur l’abside externe et sur la corniche en-dessous de la croix, qui recommande l’honnêteté aux marchands.
Tintoretta
Il y a une belle horloge !
Pepe Roncino
Oui, cette horloge date de 1410, mais elle fut restaurée au XVIIIème siècle. On se trouve sur le marché historique du Rialto, qui fut institué en 1097, mais qui connut ce terrible incendie de 1514 ; tous les édifices publics et une grande partie des bâtiments privés furent détruits. Toute cette zone fut donc reconstruite en suivant les plans d’Antonio Abbondi, dit Le Scarpagnino dont je t’ai déjà parlé auparavant… Entrons !






























On voit ici une relique de San Giacomo qui fut transférée de Torcello à l’église San Giacometto le dimanche 22 mai 2022, en présence de six Maries, ainsi que du capitaine des Castellani et de celui des Nicolotti.






















Tintoretta
Il y a la statue d’un homme agenouillé !
Pepe Roncino
Oui, c’est le Gobbo (bossu) du Rialto, sculpté en 1541 par Pietro da Salo ; c’est de cette estrade (la Pietra del bando) que l’on criait des annonces à caractère politique ou économique….


Derrière l’église, se trouve le palais des camerlenghi de comun, (les magistrats chargés de rassembler l’argent nécessaire à l’Etat) qui abritait autrefois le coffre-fort de l’Etat et abrite aujourd’hui la Cour des comptes. Camerlenghi est le pluriel de camerlengo, qui désigne l’administrateur de la chambre apostolique ; le cardinal camerlengo est celui qui représente le Saint Siège pendant la vacance qui suit la mort du Pape. Sous le palais, on traverse la Naranzeria (l’orangerie – c’était autrefois un marché aux agrumes)…


Et on se retrouve sur le quai de l’Erbaria, où se vendaient les herbes et les légumes. Sous les arcades des Fabbriche Vecchie, construites entre 1520 et 1522 par Scarpagnino, il y avait le siège du Banco di Giro (le bureau des services bancaires, géré par l’Etat), créé en 1587 : les marchands s’y réunissaient pour leurs transactions ; le bar a conservé le nom de Bancogiro !
Tintoretta
On s’y arrête pour boire un cappuccino ?
Pepe Roncino
Oui, bonne idée ! Cette place est la plus belle place au bord du Grand Canal.


Tintoretta
Oui, car on voit le plus beau pont !
Pepe Roncino
Cela me rappelle la description qu’en fait Gabriele D’Annunzio dans Il Fuoco, Le Feu : « ample dos, déjà bruyant de vie populaire, chargé de ses boutiques encombrées, sentant les légumes et le poisson, semblable à une corne d’abondance démesurée qui reverserait sur les rives le trop plein de fruits terrestres et marins pour nourrir la Cité Dominante…».


Tintoretta
C’est beau !
Pepe Roncino
Oui, mais ça l’est davantage en italien et je suis un piètre traducteur…






Pepe Roncino
Ce pont est aussi le plus ancien enjambant le Grand Canal ; les trois premiers à cet emplacement furent construits en bois mais ils s’écroulèrent ; c’est en 1524 qu’on décida d’en construire un en pierre. En 1557, un concours fut organisé ; les plus grands architectes de l’époque y participèrent : Palladio, Sansovino…et même Michel Ange ! Mais finalement, en 1588, c’est le projet d’un certain Da Ponte qui fut retenu.
Tintoretta
Un nom prédestiné !
Pepe Roncino
En effet ! Le pont fut achevé en 1591. Mais le portique qui le surplombe, un peu plus tard… D’ici, on voit aussi de beaux palais de l’autre rive du Grand Canal. Regarde là, sur la gauche, la Cà Da Mosto, qui se trouve dans l’îlot de San Canciano.
Tintoretta
Elle est quand même assez loin !
Pepe Roncino
Oui ; en revanche, juste en face, tu as le palais Civran, qui fait partie de l’îlot de San Giovanni Grisostomo. Il fut édifié au XVIIIème siècle sur le site d’une maison gothique…
Après cette pause cappuccino, on va maintenant poursuivre notre tour de l’îlot en passant sous ce portique et longer les Fabbriche Nuove qui, elles, sont l’œuvre de Jacopo Sansovino, en 1554…. On arrive sur le campo della Pescaria, le marché au poisson ; la Pescheria, l’édifice, est un des rares bâtiments récents de Venise car il a été construit en 1907 par Domenico Rupolo … On prend maintenant la calle delle Beccarie pour rejoindre le campo delle Beccarie. On fait une petite pause dans notre gondole !
Tintoretta
On est donc sur l’îlot où la ville de Venise est née ?
Pepe Roncino
Plutôt sur un des îlots de l’archipel du Rialto, les autres îlots se trouvant de l’autre côté du Grand Canal. Rialto vient de rivo alto, rive haute, car cet archipel d’îlots était surélevé par rapport aux autres îlots. Cet archipel avait aussi l’avantage d’être au centre d’un ensemble d’îlots proches les uns des autres ; c’est pourquoi il constitua le noyau de la ville.
Tintoretta
C’est en 811 que Venise est née autour de l’archipel du Rialto ?
Pepe Roncino
Oui, car c’est l’année où le siège du duché de Venise y a été transféré. Mais ce siège se trouvait sur l’actuelle place Saint Marc ; donc dans la partie de l’archipel du Rialto qui se trouve de l’autre côté du Grand Canal par rapport à l’îlot où l’on se trouve. L’îlot où l’on se trouve fut appelé Rivoaltinum forum par le doge Enrico Dandolo. C’était une sorte de zone de libre-échange. Mais au début du XIème siècle, la famille Orio légua à l’Etat un grand nombre de boutiques, ce qui permit à celui-ci d’exercer un contrôle sur cette zone commerciale… Allez, on repart ! On prend la calle de l’Anzolo… puis la calle de le Do Spade (les deux épées), où se trouve une osteria qui existe depuis 1448, même si maintenant il n’y a plus que la partie restauration et plus la partie hôtel. C'est là où on va déjeuner...










Tintoretta
Un bon repas... J’ai l’impression que cet îlot est celui de la nourriture : la boucherie, la poissonnerie, les légumes, les agrumes, les auberges anciennes…
Pepe Roncino
C’est exactement ça : autour du marché du Rialto, se sont naturellement créés très vite beaucoup d’endroits pour se restaurer, qui existent encore aujourd’hui : outre Do Spade, il y a notamment le bacaro Do Mori, le plus vieux bar à vins de Venise, devant lequel on va arriver après avoir traversé la calle San Matio (o del Marangon) et pris le ramo de Do Mori… On arrive dans la calle dei do Mori (des deux Maures).




On prend la calle de l’Occhialer ; ce nom d’Occhialer, on pourrait dire oculiste en vénitien, donné aussi au ramo sur la gauche, se réfère à la présence, à partir de la seconde moitié du XIIIème siècle, d’artisans qui fabriquaient des Roidi da Ogli, des verres de vue en cristal qui auraient été les ancêtres les plus lointains de nos verres de lunettes… puis la calle de l’Arco… puis au fond à droite la calle del Volto o ruga vecchia… On arrive sur le ramo della Donzella...


… et on prend à gauche pour rejoindre la calle del Sanson : regarde cette porte au n° 963 A !




Tintoretta
Les colonnes sont un peu penchées, surtout celle de droite !


Pepe Roncino
Oui, et au milieu se trouve la porte la plus tordue de Venise : elle dévie de 20 centimètres par rapport à l’axe vertical !
On arrive sur le campiello dei Sansoni… regarde le beau sottoportego au bord du canal !




On prend à gauche la calle del Sol qui nous conduit au campiello del Sol, qui s’appelait autrefois campiello de la Scoazzera ; tu te souviens de ce qu’était la scoazzera ?
Tintoretta
Oui, la scoazzera désignait un local dans lequel étaient recueillies les ordures (les scoazze en dialecte vénitien) ; tu me l’as expliqué sur le campo Santa Margherita !
Pepe Roncino
Bien Tintoretta !
Regarde ce sottoportego : le sottoportego del Tagiapiera…


On passe en-dessous pour voir la corte del Tagiapiera, qui borde un canal…




On rejoint le campiello et on traverse le rio terà Sant Aponal pour prendre la calle del Campaniel qui nous conduit sur le campo Sant’Aponal. Sur ce campo, se trouve l’église Sant’Aponal, abréviation de Sant’Apollinare, qui a été édifiée pour la première fois en 1034, restaurée au XVème siècle et reconstruite au XVIème siècle. Elle fut fermée en tant qu’église en 1810 mais rouverte en 1851, avant d’être déconsacrée définitivement. Elle abrite aujourd’hui les archives communales. Le campanile est très ancien… Cette place est un lieu de passage entre le marché du Rialto et le campo San Polo. En tournant le dos à l’église, on a sur la droite deux petites calli très intéressantes. La première est la calle Bianca Cappello appelée aussi del Ponte Storto.


L’histoire de Bianca Cappello, qui grandit dans ce palais, au bout de la calle, le palais Molin-Cappello. sera le Racconcino du jour. On monte sur le pont tordu pour voir le rio de le Becarie sur lequel donne le palais et sur lequel donnait le palais où habitait un protagoniste du Racconcino.






On redescend et on va entrer dans la cour du palais, la corte de Cà Molin…


On retourne sur le campo Sant’Aponal et on prend le début de la calle del Perdon pour passer tout de suite à droite sous le sottoportego de la Madona.














On raconte que sous ce portique dormit toute une nuit le Pape Alexandre III, en 1177. Le pape était alors poursuivi par l’empereur Frédéric Barberousse qui dirigeait le Saint Empire romain germanique. Ce dernier refusait qu’un pape puisse prétendre ne pas se soumettre à sa suprématie et avait désigné un antipape. Cette lutte entre le Saint Empire romain germanique et la Papauté dura très longtemps. Au XIIème siècle, les partisans de l’Empire furent appelés les gibelins et les partisans du Pape, les guelfes. Dante fut un guelfe. En 1167, Venise avait adhéré à la Ligue des Communes italiennes contre Barberousse, la Ligue lombarde. En 1177, Venise hébergeait nombre de cardinaux soutenant le pape. C’est sans doute pour cela que le Pape choisit de s’y réfugier lui aussi. Il avait rejoint Venise incognito et comptait y rester jusqu’à ce qu’il soit mis en sécurité auprès du doge. La République de Venise, après avoir infligé une lourde défaite à la flotte impériale, proposa une rencontre entre Barberousse et le Pape Alexandre III. Cette rencontre se déroula le 24 juillet 1177. L’empereur se rendit à la Basilique San Marco et s’agenouilla aux pieds du Pape. La paix était conclue. Regarde cette inscription qui rappelle que le Pape dormit ici ! Et au fond de ce capitelo, la statuette de bois représente Alexandre III. Celui-ci, après cette nuit vénitienne, accorda l’indulgence plénière à tous ceux qui réciteraient un Pater et un Ave devant l’autel de la Madonne…
On retourne sur le campo Sant’Aponal. Le nom de la calle del Perdon et cette croix se réfèrent également à cette nuit papale… On va maintenant prendre la calle del Luganegher pour rejoindre le campo San Silvestro…






Ce campo prend bien sûr le nom de l’église qui s’y trouve. L’église San Silvestro est très ancienne : elle date du IXème siècle mais elle fut reconstruite en 1422 et de nouveau au XIXème siècle. Elle n’est pas très belle en elle-même mais elle contient une très belle toile du Tintoret.
Tintoretta
Entrons dans l’église alors !




Ah, je la vois ! Sur la droite !
Pepe Roncino
Oui, c'est Le Baptème du Christ.
Cette œuvre date de 1580, c’est-à-dire à peu près la même année où Le Tintoret a peint Le baptême de Jésus dans la Scuola San Rocco.
Tintoretta
Je préfère nettement cette toile !






















Pepe Roncino
Sortons de l’église… Dans le bâtiment juste à côté, une plaque rappelle que c’est en ce lieu que fut signé, le 9 juillet 1409, l’acte de cession de Zara et de la Dalmatie, par la Hongrie, à laquelle elle appartenait alors, à la République de Venise…


Allons-nous recueillir maintenant devant la maison d’un autre grand peintre vénitien (au n° 1091) : Zorzi da Castelfranco, dit Giorgione, qui mourut en 1510, c’est-à-dire avant la naissance du Tintoret.


Tintoretta
En 1518 !
Pepe Roncino
Exact ! On aura l’occasion de reparler de lui lorsqu’on visitera les galeries de l’Académie. On va maintenant passer sous le sottoportego de la Pasina…


On accède au campiello de la Pasina…




On passe sous ce portique… On arrive dans la très belle corte de la Barzizza… On prend le ramo de la Barzizza… Et on arrive au bord du Grand Canal… A gauche, se trouve la Cà Barzizza…










C’est grâce à L’Art de Venise, ce très beau livre en deux volumes, que j’ai découvert ce palais…
Tintoretta
Ah oui, tu m’as déjà montré ce livre. Je demanderai qu’on me l’offre pour Noël ! C’est dans quelle collection ?
Pepe Roncino
La collection Mengès !
Tintoretta
Je le note !
Pepe Roncino
La façade des deux étages inférieurs date de la fin du XIIème siècle…




Tintoretta
Et on a une très belle vue sur le Grand Canal…






Avant de rejoindre le campo San Silvestro, on va faire un petit crochet pour voir la corte Todeschini, par la calle de Cà Businello…


Tintoretta
Une porte bleue un peu décolorée…
Pepe Roncino
Tu en verras de plus belles !
On va maintenant retourner sur le campo San Silvestro en passant par le campo Sant’Aponal puis la calle del Luganegher….
Et du campo San Silvestro, on va rejoindre la Riva del Vin par le sottoportego del Tragheto.




On rejoint donc la riva del vin, appelée aussi fondamenta del vin. Mais riva est plus appropriée car à cet endroit, on ne longe pas n’importe quel canal mais le Canal Grande, le Canalazzo, comme l’appellent les vénitiens. On trouve trois autres riva : la riva del Carbon, juste en face, de l’autre côté du Grand Canal, la riva de Biasio de ce côté-ci du Grand Canal dans l’îlot de San Simeon Grande et la riva de l’Ogio, où l’on se promènera demain.
Tintoretta
Cette rive est très belle : on a une belle vue sur le pont du Rialto !
Pepe Roncino
Oui, c’est pourquoi il y a beaucoup de terrasses de bars et de restaurants. Mais ils valent surtout pour la vue qu’ils offrent, ou plutôt qu’ils font payer assez cher…
Tintoretta
Et nous on dîne où alors ?
Pepe Roncino
A l’osteria Antico Dolo…




On se promène tranquillement jusqu’au pont du Rialto… Regarde, cette sculpture de la Vierge…




On reprend la ruga dei Oresi… Et on prend la ruga vecchia San Giovanni… Je vais d’abord te monter une église qu’on ne remarque pas facilement car elle est encastrée, ainsi que le campanile, dans des immeubles d’habitation : l’église San Giovanni Elemosinario, que les vénitiens appellent San Zuane de Rialto. Sa fondation est très ancienne mais l’édifice actuel date de 1539. Il est l’œuvre de Scarpagnino. Regarde : au-dessus de l’arc d’entrée, un bas-relief représente San Giovanni faisant la charité aux pauvres.


Cette église est maintenant une église orthodoxe…






















...On arrive devant l’Antico Dolo, une osteria typique où l’on mange des spécialités vénitiennes dans un cadre vénitien.


Je vais te raconter l’histoire mythique de la création de Venise. Comme je te l’ai dit, les historiens s’accordent généralement pour situer la naissance de Venise bien plus tard : non pas en 421 mais plutôt en 810 lorsque les habitants d’un archipel d’îlots se soulevèrent contre les Francs de Pépin qui avaient envahi la lagune. Ces îlots étaient plus émergés que les autres, d’où leur nom de Rivo alto (rive haute), qui se transforma en Rialto. L’année suivant cet acte de résistance, qui avait permis de repousser les Francs sur le continent, l’Empire byzantin décida de transférer le siège du duché de Venise de Metamauco, aujourd’hui englouti par les eaux, au Rialto.
Tintoretta
Mais pourquoi les Vénitiens considèrent-ils que Venise est née le 25 mars 421 ? Si cette date s’est transmise de génération en génération, il y a sans doute une raison !
Pepe Roncino
Il y a certains écrits, comme celui que je t’ai lu tout à l’heure, mais des écrits bien postérieurs à l’année 421. Le plus ancien date du XIIIème siècle : le Chronicon Altinate. Pour essayer de comprendre cette légende, il convient de rassembler les éléments connus et d’imaginer les faits inconnus.
En 421, la lagune comporte beaucoup plus d’îlots qu’aujourd’hui mais beaucoup moins de terre. Elle est habitée par des pêcheurs, des saliniers et des maraîchers. L’îlot le plus grand et le plus peuplé est Torcello, au nord de la ville actuelle de Venise. En 408, des patriciens romains d’Aquilée, de Vérone et de Padoue se réfugièrent dans la lagune pour fuir les Barbares. Ils y étaient à l’abri car seuls les indigènes connaissaient le tracé qui permettaient de ne pas s’enliser dans la vase. Mais les Wisigoths d’Alaric, après avoir franchi les Dolomites à Tarvisio, traversèrent rapidement l’Italie du Nord en septembre-octobre pour atteindre Rome en novembre, leur véritable objectif. Pourtant Rome n’est plus la capitale de l’Empire romain. En effet, en 286, l’Empire romain a été divisé entre Empire romain d’Occident et Empire romain d’Orient. Milan a été choisie comme capitale de l’Empire romain d’Occident tandis que Byzance est devenue la capitale de l’Empire romain d’Orient. En 402, la capitale de l’Empire romain d’Occident est transférée à Ravenne car celle-ci est protégée des invasions barbares par d’immenses marais. Mais Rome reste le symbole et la ville la plus riche de l’Empire, ce qui attire les troupes des Barbares. Après un long siège, Rome finira par être envahie et mise à sac en août 410.
En attaquant Rome, Alaric voulait faire pression sur l’empereur romain d’Occident, Honorius, pour obtenir des terres. Comme le siège puis la prise de Rome ne suffirent pas, il prit en otage la demi-sœur d’Honorius qui se trouvait alors à Rome et l’emmena sur la via Appia en direction de l’Afrique pour s’y installer. Mais une violente tempête détruit la flotte wisigothe entre Charybde et Scilla, lors du passage du détroit de Messine. Les Wisigoths rebroussent chemin pour passer l’hiver en Campanie. Mais coup de théâtre : Alaric meurt brutalement à Cosenza. Son beau-frère Athaulf lui succède. Sous sa conduite, les Wisigoths remontent en Italie du Nord par la voie aurélienne. En 411, les Wisigoths sont de nouveau menaçants et les patriciens de Padoue, Vérone et Aquilée qui étaient, pour certains, retournés dans leurs villas, se réfugient de nouveau dans la lagune. Pour autant, Honorius refuse toujours obstinément de conclure la paix en accordant aux Goths les terres fertiles qu’ils convoitent. Athaulf va alors jouer la carte Galla Placidia. Alaric voulait l’épouser mais Honorius s’opposait à ce mariage. Galla Placidia n’était pas non plus consentante. En revanche, Athaulf, un beau gaillard, lui plaisait. Elle-même, âgée alors de 24 ans, était à l’apogée de sa beauté. Et Athaulf, en-dehors de ses intérêts stratégiques, n’était pas insensible à ses charmes. Ils se marièrent à l’automne 411 à Forli, près de Rimini selon la coutume gothique.
Après l’échec d’un accord en 413 avec l’Empire romain, Athaulf s’empare de Narbonne et se marie avec Galla selon le rite chrétien en 414. Son objectif n’était pas de supplanter l’Empire romain mais de s’y intégrer et de voir son fils devenir empereur romain. Mais le fils qu’il eut avec Galla mourut en 415, quelques mois après sa naissance. Et juste après, nouveau coup de théâtre : lui-même est assassiné par un des siens. L’alliance avec l’Empire romain – en l’occurrence, contre les Vandales - est enfin conclue en 416 et en 418, les Wisigoths obtiennent un territoire dans l’Empire romain : en l’occurrence, l’Aquitaine (englobant Bordeaux et Toulouse).
Galla Placidia retourna à Ravenne en 416. Le consul et général en chef de l’armée romaine, Constance obtint sa main au printemps 417. Le nouveau couple eut une fille, Honoria, en 418 puis en 419, un fils, Valentinien. En février 421, Constance fut élevé à la dignité d’Auguste et Galla Placidia reçut le titre d’Augusta.
Le 25 mars 421, la paix avec les Wisigoths et l’accession au pouvoir de Galla Placidia, une femme d’une grande intelligence, sont des promesses de renouveau pour l’Empire romain d’Occident. Le péril barbare s’est éloigné. Dans ces conditions, on pourrait penser que les patriciens qui s’étaient réfugiés dans la lagune vénitienne sont retournés dans leurs villas de Padoue, Vérone ou Aquilée. Pourtant, la légende veut que le gouvernement de Padoue, une province de l’Empire, ait envoyé trois consuls fonder la ville de Venise au Rialto. Pourquoi cette décision aurait-elle été prise ? Les autorités de Padoue avaient peut-être des informations selon lesquelles le pouvoir à Ravenne n’était pas si solide et que de nouvelles incursions barbares étaient à craindre. Fonder une ville dans la lagune leur permettait d’assurer un refuge plus sûr et plus confortable. De fait, en septembre, Constance mourut d’une pleurésie. Au printemps 422, l’armée de l’Empire romain subit une défaite face aux Vandales, après la désertion des soldats wisigoths. Au début de l’année 423, Galla Placidia, considérée comme responsable de l’échec de la stratégie d’alliance avec les Wisigoths, est exilée par son demi-frère à Constantinople. Il y eut trois nouvelles invasions barbares en Italie : les Huns en 451, les Lombards en 565 et les Francs en 800. Avec la chute de l’Empire romain d’Occident en 476, Ravenne perdit progressivement son influence et finit par être supplantée par Venise comme héritière italienne de la civilisation romaine au sein de l’Empire byzantin.
Tintoretta
Passionnant ! Mais cette période était vraiment compliquée !
Pepe Roncino
En effet ! On a bien mérité notre bon repas…


... On retourne à notre gondole. Mais on va passer par le campo Rialto Novo, qui se trouve derrière l’église san Giovanni Elemosinario…


...Avec une très belle vera da pozzo…


Et, juste à côté, le Rialto Vecchio, appelé aussi Parangon, qui est parallèle aux arcades qui mènent au pont du Rialto……




Tintoretta
Nous voilà de retour à la gondole. Après l’histoire de la fondation de Venise, le Racconcino 5 !
Pepe Roncino
Bianca Cappello est née, dans le palais que l’on a vu tout à l’heure, en 1548. Un jeune homme, qui habitait en face de la fenêtre de sa chambre, de l’autre côté du rio de le Becarie avait l’occasion de la voir chaque jour à son réveil. Bianca n’avait alors que quinze ans et elle était déjà d’une grande beauté. Le jeune homme, qui s’appelait Pietro Bonaventuri, était d’origine toscane. C’était un beau parleur et il sut, dans les dialogues quotidiens de fenêtre à fenêtre, conquérir le cœur de Bianca.
A tel point que lorsqu’il lui proposa de partir en secret avec lui, elle accepta. La nuit du 28 novembre 1563, ils partirent pour Florence. Dès qu’il apprit la fuite de sa fille, le père de Bianca, Bartolomeo Cappello, un patricien, la répudia. Il demanda au Conseil des Dix, les procureurs de la République de Venise, d’ouvrir un procès. Le Tribunal bannit les jeunes gens de Venise. Ceux-ci se marièrent à Florence.
Mais Pietro n’avait pas autant d’aptitude pour le travail que pour la parole et le couple se retrouva très vite dépourvu de ressources, avec une fille, Pellegrina. C’est pourquoi il finit par accepter l’emploi de guardarobiere, valet de chambre d’un seigneur de Florence. Il ne savait pas que ce seigneur lui avait proposé ce poste pour avoir près de lui Bianca, dont il était tombé amoureux en la croisant plusieurs fois dans la rue. Il se trouve que ce seigneur n’était autre que François de Médicis, le fils du Grand Duc Côme de Médicis. Lorsqu’il succéda à son père, en 1574, il se débarrassa de Pietro, qui ne tarda pas à séduire une florentine, Cassandra Ricci Bongiovanni, mais fut assassiné quelques années plus tard, ainsi que Cassandra, par la famille de celle-ci.
Bianca n’était plus amoureuse de Pietro depuis longtemps et elle ne tarda pas à céder aux charmes du Grand Duc. D’autant que celui-ci l’installa dans un de ses palais et l’invitait à toutes les réceptions de la cour du Grand Duché. C’est ainsi que lorsque l’archiduchesse Jeanne d’Autriche mourut, en 1578, Bianca fit en sorte de se faire épouser par le Grand-Duc Elle demanda alors à son époux d’agir auprès de la République de Venise afin qu’elle lève le bannissement qui l’avait frappée quinze ans plus tôt.
L’année suivante, ce bannissement fut levé et la République de Venise proclama même Bianca « véritable et éminente fille de la République ». C’est ainsi que Bianca put retourner à Venise. Elle y fit plusieurs séjours, au palais Trevisan-Cappello, au bord du rio Palazzo qui sépare le palais des Doges des prisons, près du Pont des Soupirs. Ses derniers soupirs, elle les rendit en 1587, à Pizzo di Cajano au terme d’une agonie de onze jours. Elle et son époux furent victimes d’un empoisonnement, probablement de l’arsenic inséré dans une tarte aux pommes par le frère du Grand-Duc, le cardinal Ferdinand de Médicis. Ils moururent à quelques heures d’intervalle. Bianca ne fut pas enterrée dans la tombe de la famille Médicis. Elle mourut honnie du peuple florentin. Et à Venise, même si des Vénitiens la pleurèrent, le deuil pour sa disparition fut interdit par la République de Venise qui n’avait plus de raison diplomatique pour la réhabiliter….
Bonne nuit Tintoretta !








Quatorzième jour : San Cassiano


Pepe Roncino
Avant de partir, je t’emmène boire un cappuccino au Caffé del Doge !
Tintoretta
Chouette !
Pepe Roncino
C’est un des meilleurs cafés de Venise. On refait le parcours que l’on a fait hier soir car la calle dei Cinque où le café se trouve est juste en face de l’Antico Dolo.
Tintoretta
On prend donc la ruga dei Spezieri et, juste avant les arcades de la Drapperia, la ruga vecchia San Giovanni à droite.
Pepe Roncino
Bien ! La calle dei Cinque est une des ruelles qui mènent à la riva del Vin…Nous y voilà !
Tintoretta
On mange un croissant avec ?
Pepe Roncino
Oui, mais après on ira acheter des fruits sur le marché !
Tintoretta
On partira tard !
Pepe Roncino
On a le temps ; aujourd’hui l’îlot à visiter est petit et il y a une seule église à visiter……….
Allez, on va acheter nos fruits !
Tintoretta
On va sur la Naranzeria ?
Pepe Roncino
Tout près en tout cas ! Aujourd’hui, on va se concentrer sur les étals plutôt que sur les monuments !
Tintoretta
J’ai regardé un plan de Venise ce matin : ici, on est vraiment au centre de Venise !
Pepe Roncino
C’est vrai, on est en plein milieu des îlots de Venise et surtout au bord du Grand Canal alors que la piazzetta San Marco est au bord de la lagune.
Tintoretta
On achète des cerises ?
Pepe Roncino
Oui, on les mangera en marchant, après les avoir lavées à une fontaine ! Allez, maintenant, on retourne à notre gondole…………………………………………………………………………………………..
Aujourd’hui, on ne va pas prendre le Grand Canal ; on va prendre le rio delle Beccarie sur la gauche… On longe le palais Molin-Cappello sur la gauche…
Tintoretta
Le palais de Bianca !
Pepe Roncino
En effet ! De l’autre côté, il y avait la maison de Pietro… Avant de passer sous le Ponte Storto (le pont tordu !), on continue par le rio de Sant’ Aponal, on longe le palais Salviati sur la droite… On arrive sur le rio della Madonnetta, d’où on était parti hier matin ; cette fois, on le prend dans l’autre sens… On longe l’arrière du palais Soranzo qui donne sur le campo San Polo… On tourne à droite pour prendre le rio di San Cassian… On s’arrête sur le campo San Cassian.


San Cassian, du nom de l’église qui s’y trouve…


Tintoretta
On va la visiter ?
Pepe Roncino
Oui ; cette église a été érigée au Xème siècle, à l’emplacement d’un oratoire qui était dédié à Sainte Cécile. San Cassiano est un martyr chrétien, né à Imola au milieu du IIIème siècle. L’église fut reconstruite après l’incendie de 1105 et restaurée en 1205 et 1350 puis transformée en 1611. A l’intérieur, on trouve trois œuvres du Tintoret !
Tintoretta
Entrons tout de suite alors ! Ah, je vois au centre La Résurrection : magnifique !


Pepe Roncino
Le Tintoret est né en 1518 ou 1519 et a habité et exercé son art dans la paroisse où l’on se trouve ; ce n’est qu’en 1547 qu’il est parti habiter dans celle de la Madonna dell’Orto. Cela dit, cette toile date de 1565, alors qu’il avait déménagé… On voit San Cassiano sur le côté gauche et Sainte Cécile, à laquelle était dédiée l’oratoire, sur le côté droit.
Tintoretta
Sur la paroi de droite du presbytère, c’est la Descente aux limbes, exécutée en 1568…et sur la paroi de gauche, la Crucifixion.







