Le Voyage en Gondole : 3ème et 4ème jours
Le voyage de Pepe Roncino et Tintoretta se poursuit. Les troisième et quatrième îlots sont très riches et très animés.
ARTICLE DE BLOG
Emeric Cristallini
4/26/202552 min temps de lecture


Troisième jour : San Barnaba


Pepe Roncino
Aujourd’hui, nous allons visiter un îlot très emblématique de Venise : une place très animée, une vue sur le Grand Canal et surtout un grand choix de bars et de restaurants.
Tintoretta
Aujourd’hui on ne mangera pas de panino !
Pepe Roncino
Non, on part d’ailleurs tout de suite pour prendre notre petit déjeuner dans un café de cet îlot.
Tintoretta
Comment s’appelle cet îlot ?
Pepe Roncino
San Barnaba. C’est le nom de l’église de cet îlot.


Elle a remplacé deux églises précédentes sur le même lieu. La première, édifiée en 809 fut détruite par un incendie en 1105. Une nouvelle église fut reconstruite et consacrée en 1350. Mais elle fut presque complètement refaite en 1776.
Tintoretta
D’où vient le nom de Barnaba ?
Pepe Roncino
C’était le surnom de Joseph, un juif originaire de Chypre, qui fut le compagnon de voyage de Saint Paul. Barnabé signifiait « fils de prophétie » en hébreu.
Tintoretta
On s’arrête où ?
Pepe Roncino
Ici, sur le campiello dello squero, au bord du rio Malpaga. Et on va rejoindre le campo San Barnaba par la calle lunga San Barnaba. Comme tu le vois, il y a beaucoup de commerces dans cette ruelle, et notamment beaucoup de bars et de restaurants. Mais c’est sur la place que l’on prendra notre petit déjeuner.




Tintoretta
Super ! Ce sera notre premier repas en terrasse !
Pepe Roncino
Oui, et je pense que l’animation de cette place te plaira. C’est un lieu de passage important car on est sur l’itinéraire le plus rapide quand on va à pied de la gare ferroviaire ou de la gare routière à la place Saint Marc, ou bien du siège de l’Université au musée de l’Académie.
Tintoretta
Il doit donc y avoir beaucoup d’étudiants ?
Pepe Roncino
Les étudiants se retrouvent surtout sur le campo Santa Margherita, une place beaucoup plus grande, sur l’îlot d’à côté, en allant vers les gares. Je vais te montrer la ruelle et le pont où se passera il racconcino de ce soir : la calle et le pont de le Turchette. C’est ici, à gauche…
Tintoretta
J’ai hâte mais quand même pas trop car avant il y a le repas en terrasse…. On ne voit pas beaucoup le campanile de cette place !
Pepe Roncino
Non, le campanile est un peu en retrait par rapport à l’église. C’est dommage car il est très beau. C’est l’un des plus anciens de Venise ; il remonterait à l’an 1000 ! Mais avec des ajouts du XIIIème siècle. La cage de son clocher est romane avec tout en haut un cône du XIIIème siècle.
Tintoretta
J’aime beaucoup cette place, en effet ! Avec cette belle façade d’église et ce canal qui la longe.
Pepe Roncino
Cette place est très attirante. Elle donne envie d’y organiser des fêtes. Dans Campi Veneziani, Marina Crivellari Bizio raconte qu’une fête très marquante s’y déroula le 29 janvier 1441 à l’occasion du mariage de Jacopo, fils du doge Francesco Foscari avec Lucrezia Contarini. Beaucoup arrivèrent à cheval, en passant par un pont de barques. Le Bucentaure, le grand navire de la République de Venise arriva dans l’après-midi, avec à son bord 150 dames de la noblesse vénitienne, qui accompagnèrent ensuite la mariée au palais des Doges.
Tintoretta
On pourra dîner ici ce soir ?
Pepe Roncino
Oui, on dînera chez Oniga, ce resto à l’angle de la calle San Barnaba.




On y mange un excellent foie de veau à la vénitienne.
Tintoretta
J’ai trop hâte !
Pepe Roncino
Moi aussi, je ne te cache pas ! Mais avant, on va visiter l’église, qui abrite maintenant un musée Léonard de Vinci…
























Sortons !
On va maintenant se promener un peu dans cet îlot. On va d’abord passer sous ce sottoportego, ce portique, qui s’appelle le « Casin dei nobili », c’est-à-dire le casino des nobles.






Les nobles qui le fréquentaient étaient appelés « Barnabotti », car ils habitaient pour la plupart sur ce campo San Barnaba, dans des maisons qui appartenaient à la République de Venise. Car c’était des nobles décadents, sans le sou. Le nom de casino est le diminutif, masculinisé, de casa, qui veut dire maison en italien. C’était donc une petite maison où se pratiquaient les jeux de hasard. Mais c’était aussi un lieu de rencontres politiques, littéraires ou galantes. Il y avait une centaine de casinos à Venise, surtout dans le quartier de San Marco. Il y en avait un au-dessus du café Lavena, sur la place Saint-Marc.
Tintoretta
On ira au café Lavena, Pepe ?
Pepe Roncino
Oui, ma Tintoretta, car c’est mon café préféré, celui qui est le plus proche de la basilique…
On va se promener maintenant sur la fondamenta Girardini le long du canal, le rio San Barnaba. Juste avant le pont, on trouve chaque jour ces maraîchers qui vendent des fruits et légumes sur leur gondole. On va d’ailleurs en acheter !


Tintoretta
Ces cerises me font envie !
Pepe Roncino
Regarde ce pont ! C’est le Ponte dei Pugni. Il a une histoire très intéressante. Comme le raconte le Tassini : autrefois, Venise était divisée en deux factions rivales : l’une s’appelait les Castellani et l’autre les Nicolotti. Les premiers s’appelaient ainsi car ils habitaient la partie orientale de la ville, comprenant principalement le quartier du Castello. Les seconds, les Nicolotti, habitaient la partie occidentale de la ville, autour de San Nicolo dei Mendicoli. Les Castellani portaient comme signes distinctifs un béret et une écharpe rouges ; les Nicolotti un béret et une écharpe noirs.
Tintoretta
D’où venait cette rivalité ?
Pepe Roncino
On ne sait pas précisément. Peut-être parce que ces personnes, avant de s’installer à Venise, habitaient dans des villes de Vénétie qui se faisaient la guerre : Héraclée et Jesolo. Ou bien parce que des Nicolotti avaient tué un évêque de Castello ; je te raconterai cette histoire lorsqu’on passera par le lieu où cela se serait déroulé. Toujours est-il que ces Castellani et ces Nicolotti exprimaient leur inimitié mutuelle en se défiant sur des ponts, dans des sortes de combats de boxe. Et surtout sur ce pont, appelé ainsi pont des pugni, c’est-à-dire des poings. On voit encore sur le sol les empreintes sur lesquels les combattants devaient poser leurs pieds. Ces combats étaient tolérés par le gouvernement de Venise entre septembre et Noël. Mais ils furent interdits après le combat du 30 septembre 1705, sur ce pont, qui fut très violent et dégénéra en coups de couteaux et lancement de pierres. Par la suite, la rivalité entre ces deux communautés ne s’exprima plus, heureusement, que lors des Forces d’Hercule ou, encore aujourd’hui, lors de régates.
Tintoretta
Tu as dit que Venise était divisée en deux factions mais tous les habitants de Venise se retrouvaient-ils dans ces deux bandes ?
Pepe Roncino
Tous les habitants n’étaient sans doute pas concernés par cette rivalité. Mais le clan des Castellani débordait du quartier de Castello : il s’étendait à celui de San Marco et à la partie orientale de Dorsoduro, sans doute la partie à l’est du pont des Pugni.
Tintoretta
Jusqu’à présent, on était donc dans la partie « castellane » de Dorsoduro ?
Pepe Roncino
Oui, on peut le penser. De la même façon, les Nicolotti ne comprenaient pas que les habitants de la paroisse de San Nicolo dei Mendicoli mais englobaient tous les habitants de San Polo, de Santa Croce, de Cannaregio et de la partie occidentale de Dorsoduro, à l’extrémité de laquelle se trouvait San Nicolo dei Mendicoli.
Tintoretta
Les habitants de Venise étaient donc soit des Nicolotti, soit des Castellani ?
Pepe Roncino
Potentiellement en tout cas ! Et c’est intéressant de noter que la frontière entre les deux n’était pas le Grand Canal.
Tintoretta
Et ceux qui gagnaient étaient ceux qui arrivaient à passer le pont ?
Pepe Roncino
Effectivement ! Etaient déclarés vainqueurs ceux qui arrivaient à repousser, à coups de poings, leurs adversaires et à les faire descendre du pont jusque sur la rive opposée, ou à les précipiter dans le canal. Beaucoup plus tard, Katharine Hepburn tomba dans ce canal lors du tournage de Vacances à Venise, Summertime, un film de David Lean. Mais elle y tomba toute seule !
Tintoretta
Indiana Jones et la dernière croisade a également été tourné ici !
Pepe Roncino
Oui, l’église de San Barnaba y est présentée comme abritant une bibliothèque !
Tintoretta
Elles sont très bonnes ces cerises !
Pepe Roncino
Maintenant, on va retourner à notre gondole en tournant à gauche au bout de la fondamenta Girardini puis en prenant la calle San Barnaba. Ensuite, la deuxième ruelle à droite pour arriver sur notre campiello. Je vais lire un peu, pour préparer la suite de notre voyage.
Tintoretta
Moi, je vais sélectionner les photos que j’ai prises pour en faire un album.
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Pepe Roncino
Allez, il est l’heure d’aller dîner !
Tintoretta
Chouette ! Je suis à jour de mon album ! Je te le montrerai sur la terrasse du restau !
Pepe Roncino
D’accord ! Et moi, je te parlerai de la suite de notre voyage ; j’ai fait l’itinéraire.
Tintoretta
L’itinéraire le plus rapide pour aller au campo, c’est celui qu’on a emprunté ce matin ?
Pepe Roncino
Oui, c’est celui qu’on va prendre ; mais après le dîner, on reviendra par la fondamenta Girardini, le long du rio de San Barnaba ; au coucher du soleil, ce sera magnifique !
Tintoretta
Alors on prend chacun un foie de veau à la vénitienne ?
Pepe Roncino
Oui, je le commande dès qu’on arrive, avec deux tiramisu !
Tintoretta
Je peux m’asseoir en face du canal ?
Pepe Roncino
Oui, moi, je verrai le sottoportego !
Tintoretta
Je te montre mon album !
Pepe Roncino
T’as pris plein de photos lors du tour en gondole !
Tintoretta
Oui, surtout lorsqu’il n’y a pas de pont ni de rue qui longe le canal car ce sont des endroits qu’on ne peut voir que de la gondole.
Pepe Roncino
T’as eu raison ; et les photos sont magnifiques, félicitations ! Tu es la Tintoretta de la photographie ! Je te montre maintenant notre itinéraire : on visitera 72 îlots sur les 106 de la ville de Venise, Giudecca exclue. J’ai sélectionné les îlots où il y a une église ou une place ou une vue très intéressante.
Tintoretta
72 jours, ça fait déjà un long voyage !
Pepe Roncino
Oui, le plus beau des voyages car un voyage où on prend le temps de se poser tout en changeant d’univers chaque jour car chaque îlot est un univers.
Tintoretta
Ah, voilà notre foie de veau !
Pepe Roncino
Et mon quartino de Valpolicella ! Maintenant, on savoure notre repas, sur cette place magnifique. Bon appétit, ma Tintoretta !
Tintoretta
Bon appétit, Pepe !
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Pepe Roncino
Ce restaurant est un de mes préférés. Comme je suis un client fidèle, le patron m’a offert un jour un beau tire-bouchon, fabriqué à Murano.
Tintoretta
C’était excellent ! Maintenant, on va se promener au bord du canal ?
Pepe Roncino
Oui, ma Tintoretta, jouis du calme de cette belle soirée d’été, c’est un moment magique !
On retourne tranquillement à notre gondole et on va bien dormir sous les étoiles de San Barnaba !
Tintoretta
Demain, on va donc sur l’îlot de Santa Margherita ?
Pepe Roncino
Oui, c’est l’îlot qui se trouve de l’autre côté de ce canal.
Tintoretta
C’est maintenant le moment du Racconcino 2 !
Pepe Roncino
Le nom de turchette donné à la calle et au pont qui la prolonge et conduit à l’îlot de San Trovaso provient d’un fait survenu en 1428, lorsqu’un groupe de prisonnières de guerre ottomanes se retrouva confiné dans une grande maison grillagée de cette calle, en attendant d’être converties au christianisme. Turchette signifie petites turques, car il s’agissait uniquement de jeunes filles. En octobre 1571, la flotte vénitienne, conduite par le doge Sebastiano Venier battit la flotte turque à Lépante, sur la côte occidentale de la Grèce. Cette fois, il y eut un record de petites turques rapportées à Venise : plus de 100 ! Autant que d’îlots à Venise ! Même si la maison était grande, ça faisait un peu trop ! Heureusement, la plupart de ces petites turques se convertirent rapidement au christianisme et trouvèrent aussitôt un époux vénitien. Mais l’une d’entre elles dut attendre plus longtemps. Elle s’appelait Selima Hazemi. C’était la plus jeune et la plus belle, avec ses longues tresses noires. Les petites turques avaient le droit de sortir, accompagnées de soldats et de dames vénitiennes qui leur servaient de chaperons. On les emmenait dans des casinos où se retrouvaient de jeunes vénitiens ou des turcs en cours de conversion au christianisme. Selima était musulmane par tradition familiale mais Venise lui plaisait et elle avait envie de s’y intégrer.
Quelques semaines après son arrivée à Venise, on l’emmena au casino le plus proche, le casino dei Nobili. Ce jour-là, le casino n’était pas fréquenté que par des Barnabotti ; il était réservé par le Sénat pour que les jeunes Vénitiens ou les jeunes turcs prêts à se convertir puissent rencontrer des Turchette. C’était le 11 novembre 1571, le jour de la San Martino, la Saint Martin, une fête importante à Venise ; j’aurai l’occasion de t’en reparler. Selima était prête à se marier avec un Vénitien mais c’est un jeune turc, Osman, qui la toucha par son sourire et sa gentillesse. Osman avait été prisonnier de guerre, mais au cours d’une bataille plus ancienne, et il était installé à Venise depuis plusieurs années. Sa connaissance de la langue turque lui avait permis de devenir un marchand respecté. Sa conversion au christianisme avait pris un peu de retard mais la cérémonie de baptême était prévue quelques semaines après. Dès le lendemain de son baptême, il se rendit dans la calle de le Turchette pour demander la main de Selima. Celle-ci accepta aussitôt. Osman lui dit qu’il souhaitait d’abord aller en Turquie pour voir une dernière fois ses parents et leur annoncer leur mariage. Selima lui dit qu’elle l’attendrait à Venise car elle ne souhaitait pas, en ce qui la concerne, retourner en Turquie, où elle n’avait plus de famille et où elle ne s’était jamais plu. Le Sénat accorda à Osman le visa pour la Turquie car son entourage avait certifié qu’il reviendrait à Venise pour se marier. Selima était tellement belle ; personne ne pouvait douter de son retour. Et pourtant…
Les jours, les semaines et les mois passèrent… On était au printemps et Osman n’était toujours pas rentré. Selima avait beau continué à se dire que le voyage était long, que son fiancé avait du mal à quitter ses parents qui le retenaient le plus possible auprès d’eux, elle n’y croyait plus vraiment. D’autant qu’elle ne recevait aucune lettre ! Elle commençait à s’ennuyer dans la maison de la calle delle Turchette. Maintenant, toutes ses amies Turchette de Lépante étaient parties vivre avec leur époux vénitien ou turc.
Le jour de la Sensa – une fête très importante à Venise, qui correspond au jour de l’Ascension – elle eut le droit de se rendre, accompagnée de sa chaperonne, jusqu’au Grand Canal pour voir passer les bateaux de la Voga, au bout de la calle del traghetto, là où on a été tout à l’heure. Elle fut tellement éblouie par le spectacle qu’elle tomba dans le Grand Canal, un peu comme Katharine Hepburn dans le rio de San Barnaba. C’est alors que Lorenzo, qui attendait le traghetto pour aller prendre un cours de peinture chez son ami Paolo Caliari à San Samuele – Paolo Caliari que l’on appelait déjà Véronese- se jeta dans l’eau pour la sauver de la noyade. Lorsqu’elle eut repris connaissance, elle vit, penché sur elle, un jeune vénitien tout aussi avenant que son fiancé turc et qui avait l’avantage d’être là au moment où on avait besoin de lui. Elle se dit qu’Osman l’avait sans doute oubliée et qu’elle aurait tort de continuer à se morfondre pour lui. Aux premiers jours de l’été, elle se maria avec Lorenzo, qui, avant de devenir peintre, vivait à la solde de son père, qui était marchand dans l’îlot de San Barnaba et qui avait d’ailleurs profité de l’absence d’Osman pour développer son commerce.
Tout allait mieux pour Selima qui avait enfin pu quitter la calle delle Turchette et qui s’était installée avec son époux dans la calle del traghetto, là où ils s’étaient connus. Et elle s’était mariée à l’église San Barnaba, étant devenue chrétienne quelques semaines avant. Mais un jour de juillet, un navire qui venait de Turquie débarqua un marchand turc de retour à Venise. Lorsque ses amis de San Barnaba le virent arriver sur le campo, ils ne le reconnurent pas tout de suite. Au moment où il les salua, ils restèrent incrédules mais finirent par réaliser qu’il s’agissait bien de lui. Un frisson les traversa lorsqu’ils pensèrent à la situation de la pauvre Selima. Interrogés par Osman, ils ne purent pas lui dissimuler bien longtemps la terrible nouvelle. Celui-ci le prit mieux qu’ils ne le craignaient. Ils le virent pâlir dans un premier temps mais retrouver assez vite son entrain habituel. Il leur raconta que ses parents, qui abhorraient l’ennemi vénitien, l’avaient retenu longtemps car ils voulaient le marier à la fille d’une riche famille mais qu’ils avaient fini par le laisser partir, voyant que son amour pour Selima était profond. En arrivant dans la lagune, il avait dû rester en quarantaine dans une petite île, Sainte-Marie de Nazareth.
Les jours passant sans que rien ne se produise, ils le crurent résigné. Il faut dire que lui-même ne donnait aucun signe de fureur. C’est ainsi que lorsqu’ils apprirent qu’il avait donné rendez-vous à Selima pour lui parler, ils se dirent que c’était un moyen pour lui de tourner la page. C’est aussi ce que se dit l’intéressée de son côté. Elle pouvait d’autant moins refuser qu’elle venait de recevoir une lettre de lui, postée il y a deux mois en Turquie, qui expliquait pourquoi il tardait à revenir. Elle alla donc au rendez-vous, seule et sans en parler à Lorenzo, ainsi que le souhaitait Osman. Il lui avait donné rendez-vous au pied du pont de le Turchette, là où ils s’étaient dit au revoir sept mois avant. Elle avait compris qu’il tenait à la revoir une dernière fois telle qu’il l’avait quittée et, pour lui offrir ce dernier plaisir, elle mit la robe bleue qu’elle portait ce jour-là. Ils se retrouvèrent seuls car c’était un soir de sagra, la fête de la paroisse et tous les habitants de l’îlot de San Barnaba et des îlots alentour s’étaient retrouvés sur le campo Santa Margherita.
Que se passa-t-il ce soir de juillet, au bout de la calle de le Turchette, au pied du pont du même nom ? Nul ne le vit ni ne le sut. Toujours est-il que personne ne revit, ni Selima, ni Osman. Lorenzo, désespéré, se noya dans la lagune quelques mois après, lorsqu’il comprit qu’il n’y avait plus d’espoir de revoir Selima.
En 1575, au début d’une terrible épidémie de peste qui tua un vénitien sur trois, alors qu’on nettoyait de fond en comble les maisons, on entendit un cri déchirant venu de la cave de la calle Turchetta. Une turchetta nouvellement arrivée venait d’ouvrir un coffret à bijoux, caché sous des bouteilles de Malvasia. Dans ce coffret : un crâne avec de longues tresses noires. En creusant la terre, les gardes de la maison découvrirent un squelette sans tête recouvert d’une robe bleue. On pense qu’Osman, rendu fou de douleur d’avoir perdu sa bien-aimée, avait emporté sa tête après l’avoir décapitée mais qu’il s’était ravisé, persécuté qu’il était par l’esprit de Selima. Depuis, les promeneurs qui, fuyant la foule le soir du Redentore - la fête dont je te parlerai lorsqu’on sera en face de l’église du Redentore - passent de San Barnaba à San Trovaso, croient apercevoir une silhouette bleue voguer sur le rio Malpaga en direction du Grand Canal…
Bonne nuit ma Tintoretta !
















Quatrième jour : Santa Margherita


Pepe Roncino
Pour faire le tour de l’îlot Santa Margherita, on va prendre le rio del Malpaga sur la droite puis à droite le rio dell’Avogaria puis prendre le rio di San Barnaba jusqu’au Grand Canal.
Tintoretta
Chouette, on va revoir le campo San Barnaba !
Pepe Roncino
Oui, et on va longer la Ca’Rezzonico, un des plus beaux palais de Venise, aujourd’hui musée du Settecento vénitien, c’est-à-dire du XVIIIème siècle vénitien.
Tintoretta
On le visitera ?
Pepe Roncino
Oui, l’intérieur du palais est très beau et on a une belle vue sur le Grand Canal. La façade du palais longe le Grand Canal ; il y a seulement un petit quai qui permet d’accéder à l’entrée. Ce palais a été construit par Baldassare Longhena pour le procurateur Filippo Bon à la moitié du XVIIème siècle, puis complété par Giorgio Massari peu après son acquisition par la famille Rezzonico en 1751. Son style est caractéristique du baroque vénitien. Baldassare Longhena fut un des plus grands architectes de Venise ; il était même l’architecte officiel de la République de Venise de 1640 à 1682. Il était aussi sculpteur. On aura souvent l’occasion de revoir ses œuvres, surtout l’église de la Salute, qu’il édifia en 1648, près de vingt ans avant le palais Rezzonico. Et dès aujourd’hui, la façade de la Scuola dei Carmini. Comme Le Tintoret, il est né et mort à Venise. Il est né plus précisément dans la paroisse de San Trovaso, d’où l’on a commencé notre voyage en gondole.
Tintoretta
Longhena n’a pas achevé le palais ?
Pepe Roncino
Non, il mourut en 1682 alors qu’il était en train de construire le palais. Comme je l’ai lu sur le guide Gallimard, il n’y avait qu’un étage et il est resté couvert d’un toit provisoire en bois jusqu’en 1751. Massari a ajouté un étage avec, du côté canal, une grande salle de bal. Quelques années après, Carlo Rezzonico, le fils du propriétaire, fut élu pape, sous le nom de Clément XIII. Beaucoup de cérémonies officielles se sont tenues dans ce palais, notamment la réception de l’empereur Joseph II en 1769. Le dernier membre de la famille Rezzonico s’éteignit en 1810 ; le palais changea plusieurs fois de propriétaire. Whistler y séjourna ainsi que le grand poète et dramaturge Robert Browning qui y mourut le 12 décembre 1889. Le palais fut acquis par la mairie de Venise en 1934 et ouvert au public en 1936. Tu verras, la visite est très intéressante. On passe maintenant devant le palais Giustinian où Wagner séjourna pendant sept mois, entre 1858 et 1859 ; il y composa le deuxième acte de Tristan et Iseult. Wagner est mort à Venise mais dans un autre palais au bord du Grand Canal, sur l’autre rive : la Cà Vendramin-Calergi.
Regarde, Tintoretta ! On passe devant le siège de l’Université, la Ca’ Foscari !
Tintoretta
Ca’ est le diminutif de casa, qui veut dire maison mais là, ce sont des palais !
Pepe Roncino
Oui, c’est vrai, c’est assez curieux ; c’est surtout le long du Grand Canal que l’on trouve des palais qui s’appellent Cà : la Cà d’Oro et la Cà Pesaro sont les deux autres importants. On quitte maintenant le Grand Canal pour prendre le rio de Cà Foscari à gauche ; on tourne ainsi autour de la Cà Foscari.
Tintoretta
On pourra y rentrer ?
Pepe Roncino
Oui, on y rentrera tout à l’heure. Mais pour l’instant, admire la façade avec les fenêtres gothiques et les armoiries de la famille Foscari. Juste à côté de la Cà Foscari, se trouve la caserne principale des pompiers de Venise ; vois-tu ces bateaux sous les porches ?
Tintoretta
Oui, comme ça, s’il y a un incendie, ils peuvent tout de suite emprunter le Grand Canal où ils peuvent aller un peu partout dans Venise le plus rapidement possible.
Pepe Roncino
On passe maintenant sous le pont Foscari… Regarde ce petit palais sur la gauche ! C’est ce qu’il reste d’une construction antérieure au IXème siècle. On ira dans la cour où il se trouve : la corte del Fontego.


Le prochain pont est le pont San Pantalon qui conduit au campo Santa Margherita sur la gauche.
Tintoretta
C’est là qu’on déjeunera ?
Pepe Roncino
Oui, on aura un large choix de bars ou de restaurants !
On tourne maintenant à gauche pour prendre le rio Santa Margherita. On passe sous deux ponts avant de longer le campo dei Carmini sur la gauche où se trouve l’église des Carmini, que l’on visitera tout à l’heure. Le rio Santa Margherita devient alors le rio dei Carmini puis le rio dell’Angelo Raffaelle. On tourne à gauche pour prendre le rio de San Sebastiano qui, après le pont devient le rio de San Basilio. Au bout de ce canal se trouve sur la gauche le campo San Basegio où on va s’arrêter.
Pas besoin de poursuivre notre tour de l’îlot en gondole car la promenade sur les Zattere nous permettra de poursuivre le contour de l’îlot, et la suite du contour de l’îlot, on l’a déjà suivie en plusieurs fois lors de nos trois précédentes étapes. Et sur ce campo San Basegio, il y a un de mes endroits préférés pour boire un cappuccino.
Tintoretta
On y va ?
Pepe Roncino
Oui, le temps que je gare notre gondole !
Tintoretta
Chouette, il y a une belle terrasse !


Pepe Roncino
Oui, cette petite place est très agréable ; plus tranquille que le campo San Barnaba. Cette place a pris le nom d’une église, aujourd’hui disparue, qui était dédiée à San Basilio. Cette église fut construite vers l’an 1000 puis reconstruite suite au tremblement de terre de 1347. Elle fut détruite définitivement au milieu du XIXème siècle et remplacée par un jardin. Il n’en demeure aujourd’hui que la porte d’entrée que tu peux voir au n° 1525.
Tintoretta
On est vraiment bien ici ! Et c’est la première fois qu’on voit notre gondole en buvant un cappuccino !
Pepe Roncino
La paroisse de San Basilio est le lieu de naissance de Rosalba Carriera, une grande artiste peintre, le 7 octobre 1675. On verra certains de ses tableaux cet après-midi dans la Cà Rezzonico...


On prend ensuite la calle del Vento pour rejoindre les Zattere. Cette ruelle s’appelle ainsi car, comme il y a en face le canal de la Giudecca, il y a souvent du vent !
Tintoretta
C’est vrai, on sent une petite brise !
Pepe Roncino
Nous voici maintenant sur les Zattere, plus précisément sur la partie des Zattere qui s’appelle Fondamenta delle Zattere al Ponte Longo.


Ce quai des Zattere couvre toute la longueur du sestiere de Dorsoduro : presque un kilomètre ; la partie comprise dans notre îlot, à peu près le tiers de cette longueur. Zattere signifie radeaux ; c’est ici que s’amarraient les radeaux qui transportaient le bois venu des forêts du Cadore.
Tintoretta
Il y a de grandes terrasses de restaurants !
Pepe Roncino
Oui, mais on dînera plutôt dans un jardin où la lagune a été reproduite, dans une ruelle perpendiculaire, la calle Trevisan. Il s’appelle sud est 1401 !
Tintoretta
On est en plein sud ici !
Pepe Roncino
Oui, tout à fait ! C’est le lieu de promenade favori des Vénitiens.


Sur ce tronçon des Zattere, il n’y a pas d’église mais il y a de beaux palais : le palais Molin, siège de la Société Adriatique de navigation, le palais Giustiniani-Recanati, dans lequel se trouve un tableau du Tintoret…
Tintoretta
Quel tableau ?
Pepe Roncino
Le départ de la reine Cornaro pour Chypre.
Tintoretta
Qui était la reine Cornaro ?
Pepe Roncino
Caterina Cornaro est née à Venise en 1454 ; à 14 ans, elle épousa le roi de Chypre dont elle resta veuve en 1473 ; mais malgré la mort de son héritier l’année suivante, la République de Venise, qui exerçait son hégémonie sur Chypre, lui permit de conserver sa couronne. Mais elle dut finalement abdiquer en 1489 pour pouvoir se remarier. Elle se retira à Asolo où Pietro Bembo imagina les dialogues Asolani.
Tintoretta
On ne peut pas visiter ce palais ?
Pepe Roncino
Non, ce palais est privé. On va tourner à gauche avant le ponte Longo…


…Puis on prend la calle del Magazzen.
Tintoretta
On retrouve le campo San Trovaso !
Pepe Roncino
Oui, on va monter sur le pont de la Scoazzera pour voir la maison de Jacopo Sansovino, dont je t’ai parlé avant-hier…


On retourne maintenant sur nos pas...


Tintoretta
Tant mieux ! je ne me lasse pas de cette promenade sur les Zattere.
Pepe Roncino
Dans ce sens-là, on peut mieux voir l’ancien moulin Stucky sur l’île de la Giudecca. C’était un moulin à blé, construit à la fin du XIXème siècle.
Tintoretta
Il me rappelle la gare Saint Pancras à Londres !
Pepe Roncino
C’est vrai, son style n’est pas très vénitien ! Il est maintenant converti en hôtel de luxe. On va maintenant reprendre la calle del Vento et traverser la place de San Basegio…
Nous voici sur la fondamenta di San Basegio.




On laisse les trois calle sur la droite qui nous conduiraient dans d’autres îlots, qu’on a déjà visités en plus ! On longe San Sebastiano, qui sera notre prochaine étape. La fondamenta prend justement le nom de San Sebastiano maintenant.
Au bout, on prend forcément à droite pour longer le rio dell’Angelo Raffaelle puis des Carmini par la fondamenta del Soccorso….


Regarde ! Cette bâtisse était auparavant appelée « del soccorso » car l’ensemble formé de l’église – qui s’appelait Santa Maria Assunta à l’origine - et de l’hospice à côté constituait l’institution Pia Casa del Soccorso, créée par Veronica Franco, une célèbre courtisane de Venise en 1577. Cette maison recueillait les femmes célibataires qui avaient péché ou les épouses qui avaient commis un adultère.


On poursuit notre promenade sur la fondamenta...


On va arriver tranquillement sur le campo dei Carmini, dont je vais commencer à te parler.
Sur cette place, au n° 2615, se trouvait, selon la légende, la maison d’Othello, le personnage de la tragédie de Shakespeare.
Tintoretta
Je ne savais pas qu’une tragédie de Shakespeare se déroulait à Venise ; tu pourras me raconter cette histoire ?
Pepe Roncino
Oui, je te la raconterai ce soir. Mais ce ne sera pas un Racconcino, car ce ne sera pas vraiment lié à l’histoire de l’îlot.




Dans l'angle opposé, il y a ce lycée, dont on peut visiter la cour car il y a cette exposition. Ce lycée occupe l’ancien cloître de l’église, où il y avait un couvent jusqu’en 1810….












Nous voici devant l’église des Carmini, qui s’appelle plus précisément « Chiesa di Santa Maria del Carmelo ». Elle fut commencée en 1286 et consacrée en 1348. Les Frères Carmélites, qui habitaient le couvent, y officiaient.


Tintoretta
Qui étaient les Frères Carmélites ?
Pepe Roncino
C’est un ordre religieux qui a été fondé en Palestine, sur le mont Carmel au XIIIème siècle et qui, très vite, a essaimé en Occident pour fuir les musulmans. En italien, on dit : Carmeliti ; c’est pour cela que j’ai traduit par Carmélites ; mais en français, on dit plutôt carmes pour les hommes et carmélites pour les femmes. Au début, la confraternité est uniquement composée de femmes mais elle s’ouvre aux hommes en 1595. Les membres de cet ordre vénèrent avant tout la Vierge Marie, qui serait apparue à un Frère carmélite.
La façade de l’église date du début du XVIème siècle. Entrons !
On va faire le tour en partant de la gauche après l’entrée…














































































Tintoretta
Il n’y a pas d’œuvre du Tintoret ici ?
Pepe Roncino
Non, on a cru un temps que le retable sur la Circoncision était du Tintoret mais on l’attribue aujourd’hui plutôt à Polidoro Lanzano. A l’intérieur de cette église, on trouve surtout des œuvres d’Andrea Schiavone. Regarde cette tombe : c’est celle d’un certain Marco Arian, qui était le chef de la paroisse de l’Angelo Raffaelle dont on visitera l’église demain. Ici, se trouve le monument dédié à Giacomo Foscarini, un ambassadeur qui reçut dans son palais le roi de France Henri III en personne ; on aura l’occasion d’en reparler quand on longera son palais, qui se trouvait juste en face de l’église, de l’autre côté du canal. Visitons un peu le presbytère : une peinture de Lorenzo Lotto, de 1529, qui figure Saint Nicolas en gloire entre Sainte Lucie et Saint Jean-Baptiste ; on verra les reliques de Sainte Lucie au cours de notre voyage. On trouve surtout des toiles sur la vie des Frères Carmélites. Nous voici dans la sacristie : au-dessus de la porte d’entrée, une peinture de Lambranzi sur le triomphe de l’Ordre Carmélite. On sort maintenant car une très belle visite nous attend : la Scuola di Santa Maria del Carmine.
Tintoretta
C’est loin d’ici ?
Pepe Roncino
Non, à peine sorti de l’église, on y arrive…On fait juste un petit détour par la calle delle Pazienze pour voir ce beau capitello…




On retourne sur la calle de la Scuola…




La visite de la Scuola vaut surtout pour les œuvres de Giambattista Tiepolo qu’elle renferme. Avant d’y rentrer, admire son architecture : elle a été construite dans la seconde moitié du XVIIème siècle sur des plans de Baldassare Longhena.












Mais c’est à l’étage que l’on peut admirer le plafond orné de neuf toiles de Tiepolo, consacrées à la glorification de la Vierge du Carmel entourée des Vertus, d’anges et de chérubins : quand cette œuvre fut terminée, en 1744, elle déclencha un tel enthousiasme que Tiepolo fut nommé, par un vote unanime, Confrère de la Scuola.
Tintoretta
Scuola signifie école mais qu’est-ce qu’on enseignait dans cette école ?
Pepe Roncino
Ce n’était pas une école au sens de lieu d’enseignement ; les Scuole vénitiennes étaient des associations d’entraide ou, de façon plus large, d’assistance sociale pour les indigents. On parle de confréries mais c’était des confréries laïques, même si elles choisissaient un saint protecteur. Ici, la sainte protectrice était la Vierge Marie. Il y avait différentes catégories de scuole. Certaines étaient des sortes de syndicats professionnels, qui défendaient les intérêts d’artisans ; d’autres favorisaient l’entraide au sein d’une nationalité : pour les Grecs, les Dalmates, les Allemands, les Arméniens, les Albanais ; d’autres étaient vouées à un saint.
Les principales, appelées Scuole Grandi, étaient au nombre de neuf : Santa Maria della Carità à l’Accademia, San Giovanni Evangelista, San Marco, Santa Maria della Misericordia, San Rocco, San Teodoro, San Fantin, Santa Maria del Rosario et Santa Maria del Carmine, qui fut fondée en 1594 mais ne devint une Scuola Grande qu’en 1767. L’appellation de Scuola Grande était réservée aux scuole dont la finalité était exclusivement confraternelle.


La visite de la Scuola vaut surtout pour les œuvres de Giambattista Tiepolo qu’elle renferme. Avant d’y rentrer, admire son architecture : elle a été construite dans la seconde moitié du XVIIème siècle sur des plans de Baldassare Longhena. Dans la salle du rez-de-chaussée, il y a des peintures de Niccolo Bambini : Le Repos en Egypte, L’Assomption, L’Annonciation, La Circoncision.
Tintoretta
Toutes ces scuole existent encore ?
Pepe Roncino
Elles n’existent plus car les Scuole en tant qu’institution ont été dissoutes par Napoléon en 1806. Certaines scuole mineures ont poursuivi leur activité sous une forme un peu différente. S’agissant des Scuole Grandi, les édifices existent encore, à l’exception de Santa Maria del Rosario, qui était adossée à l’église Santi Giovanni e Paolo, et certaines peuvent encore se visiter : outre celle des Carmini, que l’on visite actuellement, celles de Saint Roch, de San Giovanni Evangelista, de la Misericordia, de la Carità, qui se trouve en partie dans les Galeries de l’Académie et l’Académie des Beaux-Arts, et de San Marco, qui est devenue un hôpital.
Tintoretta
Ce plafond de Tiepolo est vraiment magnifique !
Pepe Roncino
En effet ! Giambattista Tiepolo est un des plus grands peintres du style rococo.
Tintoretta
C’est quoi le rococo ?
Pepe Roncino
Le Rococo est un style architectural et décoratif, né au XVIIIème siècle. Giambattista Tiepolo, né à Venise en 1696, fut un des principaux représentants de ce style en Italie. Il avait une façon bien à lui de donner l’illusion de l’espace. Tu remarqueras qu’il utilisait des couleurs claires et lumineuses.
Ces toiles de Tiepolo datent de 1743. Il était le beau-frère d’un autre peintre célèbre, Francesco Guardi. Il eut avec Cecilia Guardi neuf enfants, dont Giandomenico, son aîné, qui travailla souvent avec lui. Giambattista l’emmena avec lui dans ses nombreux voyages, notamment à Madrid où il mourut en 1770.
Aujourd’hui, on pourra admirer ses fresques à la Ca’Rezzonico…










...Mais ce sera cet après-midi ; maintenant on va se promener sur le Campo Santa Margherita.
Tintoretta
C’est loin d’ici ?
Pepe Roncino
Non, c’est tout de suite à gauche dès qu’on sort des Carmini. Ce campo Santa Margherita tire son nom d’une église dédiée à Sainte Marguerite, qui vécut au IIIème siècle près d’Antioche, l’actuelle Turquie. Selon Jacques de Voragine, dans La légende dorée, elle était très belle mais tellement pudique qu’elle s’enfuit le jour de ses noces pour se réfugier dans un monastère… Cette église fut fermée en 1810. Elle sert maintenant de salle de conférences de l’Université Cà Foscari.
Au centre de la place, on trouve cet édifice isolé, construit en 1725, qui fut le siège d’une Scuola minore, celle des varatori, des artisans du cuir….




A gauche, se trouve la Cà Nobile Corner, qui a été transformée en hôtel….
Tintoretta
Il y a une belle terrasse !
Pepe Roncino
Oui et une belle façade ! On va entrer discrètement dans la cour…




Le puits date du XVIème siècle et l’escalier du XVème…
Je vais te montrer des colonnes très anciennes dans la calle del Forno, à gauche…




On va maintenant se promener jusqu’au bout de la place, pour voir de plus près l’édifice qui fut l’église Santa Margarita et ce qu’il reste de son campanile. Ce campanile ne s’est pas écroulé, mais il a été un jour coupé à mi-hauteur pour éviter qu’il ne s’écroule.


On va maintenant se promener jusqu’au bout de la place, pour voir de plus près l’édifice qui fut l’église Santa Margarita et ce qu’il reste de son campanile. Ce campanile ne s’est pas écroulé, mais il a été un jour coupé à mi-hauteur pour éviter qu’il ne s’écroule.




On arrive dans la corte del fontego, qui va jusqu’au rio de Cà Foscari. L’arc du sottoportego s’insérait dans un ensemble de six arcs, tous murés désormais. Regarde ces petites colonnes qui les soutenaient !






Regarde ce beau capitello de Madonne sous le sottoportego !




Retournons sur le campo Santa Margherita !
Tintoretta
Un endroit aussi tranquille près d’une place aussi animée, cela fait un contraste important !
Pepe Roncino
Oui, c’est un contraste qu’on retrouve souvent à Venise… Sur ce campo Santa Margherita, on trouve surtout beaucoup d’étudiants.
Tintoretta
Des étudiants de la Cà Foscari ?
Pepe Roncino
Oui, et aussi des étudiants de l’Istituto Venezia, une école d’italien pour les étrangers. Elle se trouve à la troisième extrémité de la place. On passera devant…
Mais avant, je vais te montrer une autre cour, avec une curiosité…On prend la calle del Magazzen à gauche…puis la calle de l’Aseo de nouveau à gauche… Et on arrive dans la corte de l’Aseo…






Tintoretta
Le pozzo est encastré dans le mur !
Pepe Roncino
En effet, ! On retourne sur le campo. On va manger des cicchetti en terrasse ; on fera notre vrai repas ce soir sur les Zattere.
Tintoretta
C’est quoi des cicchetti ?
Pepe Roncino
Cicchetti vient du latin ciccus qui signifie petite quantité ; ce sont des sortes d’amuse-bouches. Ils sont souvent à base de poisson ; je vais en commander un assortiment…. Je sais que tu aimes la morue et les sardines, tu vas te régaler !
Tintoretta
Tant mieux, car je commence à avoir faim !
Pepe Roncino
Cette place est la plus grande du sestiere de Dorsoduro et une des cinq plus grandes de Venise. Elle était traversée par un canal qui partait du rio terra della scoazzera, une ruelle en face des Carmini et se prolongeait sur le rio terrà canal, qui passe devant notre terrasse et tourne à droite pour aller jusqu’au pont des Pugni.
Tintoretta
Ah, j’ai compris : ces ruelles s’appellent « rio terra » car elles étaient avant des rios, des canaux, et elles sont devenues des ruelles, en terre !
Pepe Roncino
Bien, ma Tintoretta, tu as tout compris ! Le rio terrà résulte du comblement d’un canal… La scoazzera désignait un local sans toit et ouvert sur le devant dans lequel étaient recueillies les ordures (les spazzature en italien, scoazze en dialecte vénitien) en attendant qu’elles soient ramassées par les éboueurs (les burchieri) pour être transportées hors de la ville. Avec ces scoazzere, il s’agissait d’éviter que les ordures soient jetées dans les canaux. Le rio della scoazzera fut comblé entre 1844 et 1845 ; le rio canal en 1863. Il y avait un pont qui traversait ce canal juste devant la Scuola des Varatori.
Tintoretta
Ah, voilà nos cicchetti !
Pepe Roncino
Tu as des sarde in saor, des sardines préparées avec des oignons et du baccala mantecato, un peu comme de la brandade de morue. Tu as même un peu de polenta avec.
Tintoretta
Finalement, je pense que ces cicchetti vont bien nous rassasier….
…………………………………………………………………………………………………………………………………….
Pepe Roncino
Après ce bon déjeuner, on va visiter la Cà Rezzonico. On va prendre le rio terrà Canal ; vois-tu Tintoretta, c’est là que se trouve l’Istituto Venezia, l’école d’italien pour les étrangers. Au bout de ce rio terrà canal, on tourne à gauche.
Tintoretta
On longe le rio San Barnaba !


Pepe Roncino
Oui, on voit le campo San Barnaba de l’autre côté. Voilà la Cà Rezzonico. On prend cette passerelle pour accéder à l’entrée du palais qui donne sur le Grand Canal.


La Cà Rezzonico est, depuis 1936, le musée du « settecento veneziano », c’est-à-dire du XVIIIème siècle vénitien ; ce musée est très important car j’ai lu dans un petit livre de préparation à l’examen d’histoire de l’art, esame di storia dell’arte d’Ernesto Bignami, que la peinture italienne du settecento, c’est-à-dire des années 1700, et donc du XVIIIème siècle, eut comme centre principal Venise.
Tintoretta
Quels étaient les peintres vénitiens du settecento ?
Pepe Roncino
D’abord Giambattista Tiepolo, dont je t’ai déjà parlé, et qui a décoré, avec ses fresques, plusieurs salles de ce palais. Ensuite, Francesco Zuccarelli, Giuseppe Zais et Luca Carlevaris, qui ont peint des paysages naturels, bucoliques et même arcadiens.
Tintoretta
Que signifie « arcadiens »?
Pepe Roncino
De l’Arcadie, une région de Grèce, symbole depuis l’Antiquité, selon l’Encyclopédie en ligne italienne Treccani, de vie innocente et sereine. Par extension, arcadien désigne des lieux idylliques où il fait bon vivre. Ce sont souvent des lieux imaginaires… Regarde, dans cette niche se trouvent les armoiries des Rezzonico ! On prend maintenant le grand escalier conçu par l’architecte Giorgio Massari… On entre dans la grande salle de bal.








On retrouve ici les armoiries des Rezzonico…. Je lis le Lorenzetti : au plafond, Allégories des quatre parties du monde… des meubles fabriqués par Andrea Brustolon pour le patricien Pietro Venier… On prend maintenant la porte à droite pour entrer dans la salle de l’Allégorie nuptiale.
Tintoretta
Le plafond est de Tiepolo ?
Pepe Roncino
Oui, tu as reconnu son style ! Cette œuvre fut réalisée à l’occasion des noces de Ludovico Rezzonico et Faustina Savorgnan en 1758. On voit les époux sur le char allégorique du Soleil, accompagnés par Apollon et précédés par Cupidon, les yeux bandés…


On passe maintenant dans la salle des Pastels. Cette salle s’appelle ainsi du fait des pastels qui la décorent, notamment ceux de Rosalba Carriera, dont je t’ai parlée ce matin.
Tintoretta
Oui, elle est née dans la paroisse de San Basilio.
Pepe Roncino
Ce pastel représente son autoportrait ; il date de 1757, année de sa mort et fut offert par l’artiste à ses amis Giambattista Sartori et son épouse Lucietta, dont elle a fait le portrait à côté… On attribue également à Rosalba Carriera ce Portrait de gentilhomme… et, avec plus de certitude, ces Pastelli e miniature… On trouve également dans cette salle quatre Ritratti a pastello di Casa Balbi Valier, attribués à Marianna Carlevaris.
Tintoretta
La fille de Luca Carlevaris ?
Pepe Roncino
Bien Tintoretta ! Je vois que tu suis et que tu as toujours ton excellente mémoire ! On entre maintenant dans la salle des Tapisseries.
Tintoretta
De belles tapisseries !
Pepe Roncino
Elles représentent les Storie di Salomon e della Regina Saba… On passe maintenant dans la salle du Trône, qui était la chambre nuptiale des Rezzonico…
Tintoretta
Au plafond, une nouvelle fresque de Tiepolo !
Pepe Roncino
Oui, l’Allegoria del Merito fra Nobiltà e Virtù.
Tintoretta
Que dit le Lorenzetti ?
Pepe Roncino
« Une fresque lumineuse qui, grâce à un sens audacieux de la perspective, ouvre dans le plafond une infinité de ciels »… J’essaye de le traduire au mieux !
Tintoretta
Cette salle est richement décorée !
Pepe Roncino
En effet, regarde cet imposant vase de Chine !
Tintoretta
Ceci est le trône qui a donné son nom à la salle ?


Pepe Roncino
Oui, c’est le trône sur lequel s’est assis le Pape Pie VI lors d’une étape à Venise sur le chemin de Vienne.
Tintoretta
On aurait pu penser que c’était le trône du pape Clément XIII, qui était un Rezzonico !
Pepe Roncino
Non, et d’ailleurs ce trône ne se trouvait pas dans ce palais mais dans le palais Grassi de Chioggia ! On entre maintenant dans la salle Tiepolo !
Tintoretta
Encore une très belle fresque au plafond !


Pepe Roncino
La Fortezza e la Sapienza scacciano la perfidia… On trouve aussi dans cette salle, sur le chevalet, une autre œuvre de Giambattista, le grand Tiepolo : cette Testa di vecchio… Ces quatre têtes que tu vois là seraient quant à elles de Giandomenico, son fils… On prend maintenant ce passage… dans ces vitrines, sont conservés des souvenirs historiques et littéraires de la famille Rezzonico, parmi lesquels des publications pour l’élection du Pape Clément XIII… On arrive dans la salle de la Bibliothèque… Cette fois, le plafond n’est pas de Tiepolo mais de Francesco Maffei, un des principaux peintres vénitiens, non pas du settecento, mais du seicento cette fois. La décoration du plafond est composée de cinq toiles sur des Sujets mythologiques… Les bibliothèques sont aussi du XVIIème siècle, comme Maffei… On entre maintenant dans la salle del Lazzarini, du nom du peintre, Gregorio Lazzarini qui exécuta ces trois grandes toiles sur le thème de la mythologie, comme dans la salle précédente : Hercule, Orphée, les Centaures… On arrive dans la salle d’Andrea Brustolon, dans laquelle se trouvent de très beaux meubles de cet artiste… Le plafond est de nouveau de Francesco Maffei, et de nouveau sur des sujets mythologiques, mais aussi allégoriques… On retrouve également une peinture de Gregorio Lazzarini, le Rapt d’Europe… On repasse par la salle Lazzarini et on tourne à droite… On traverse cette salle avec toute une série de sculptures et de statues… avant de sortir pour prendre l’escalier, regarde bien ce Cristo in Croce e la Maddalena, qui provient de l’église des Terese, aujourd’hui fermée mais devant laquelle on passera dans quelques jours. C’est une œuvre de Giovan Battista Langetti, un peintre du seicento… On monte maintenant au second étage !
Tintoretta
Ce palais est vraiment très riche !
Pepe Roncino
Oui, et tu es loin d’avoir tout vu car il y a aussi un troisième étage à visiter ! Mais d’abord le deuxième étage ! On va, pour commencer, visiter la salle centrale, qui s’appelle le Portego dei dipinti. Dipinti signifie peintures : dans le dictionnaire que l’on trouve à la fin de l’ouvrage sur Venise de la collection Bouquins, il est précisé que portego, dans notre cas, désigne une pièce qui donne accès de chaque côté aux autres pièces de l’étage.
Tintoretta
On retrouve portego dans sottoportego !
Pepe Roncino
En effet, mais sottoportego ne désigne pas la pièce qui se trouve en-dessous du portego ; elle désigne un passage sous un édifice. Quand on visitera l’îlot de San Lio, on ira manger Al Portego, qui ne porte pas bien son nom, comme tu le verras ! Dans ce portego, se trouvent des peintures parmi lesquelles on trouve des œuvres des plus grands peintres vénitiens du settecento. Pour commencer, regarde cet autoportrait : il s’agit de Giovan Battista Piazzetta… Ensuite, des œuvres des peintres « arcadistes » dont je t’ai parlés : quatre Scènes rustiques de Giuseppe Zais… Et un peu plus loin, quatre autres Scene rustiche de ce Giuseppe Zais… Puis une Scena pastorale de Francesco Zuccarelli…. Puis une Veduta di un porto fluviale de Luca Carlevaris…
Tintoretta
Celle-ci n’est pas vraiment « arcadiste » !
Pepe Roncino
Non, ce tableau est plutôt du style « védutiste », c’est-à-dire une représentation réaliste du paysage, que l’on retrouvera dans les œuvres de Canaletto et de Guardi… En parlant de Guardi, on va maintenant passer dans la salle de Guardi !
Tintoretta
Belle transition Pepe !
Pepe Roncino
C’est aussi un peu grâce à toi Tintoretta ! Regarde ces fresques magnifiques de Francesco Guardi ! En l’occurrence, ce ne sont pas des fresques védutistes. L’œuvre de Guardi est plus variée que celle de Canaletto, qui lui était seulement « védutiste ». Selon Alberto Savinio, dans Ville, j’écoute ton cœur, le plus beau portrait de Venise a été peint par Guardi ; mais ce tableau ne se trouve pas à Venise, mais à Milan, au musée Poldi Pezzoli : Gondola in laguna. Il était aussi un peintre de capricci, c’est-à-dire de paysages bucoliques à l’instar de Zuccarelli, Zais ou Carlevaris mais sans être « arcadistes » comme eux. Dans cette salle, ses fresques sont des capricci sur des sujets mythologiques : Apollon, Minerve et Vénus… On prend maintenant la porte de droite pour entrer dans la chambre de l’alcôve… on a reconstitué ici une alcôve provenant du palais Carminati de San Stae.
Tintoretta
Il y a un beau service de toilette !
Pepe Roncino
On prend la petite porte à gauche et on arrive dans une petite pièce : le Stanzino del Falchetto.
Tintoretta
Falchetto signifie petit faucon, comme celui que l’on voit sur ce plafond de Tiepolo !
Pepe Roncino
Tout à fait ! Mais cette fois, de son fils Gian Domenico ! On passe maintenant dans le Camerino degli stucchi, c’est-à-dire des stucs…. On retourne sur nos pas pour traverser la salle de l’alcôve et celle de Guardi…


On passe dans le « salon des laques vertes » dans lequel a été reconstituée une chambre à coucher du XVIIIème siècle, avec son vestiaire et son boudoir…. Accrochés aux murs, des peintures « védutistes » : le Bacino di San Marco vu de la fondamenta de San Biagio de Vincenzo Chilone… La Laguna gelata d’un élève de Guardi, qui rappelle l’hiver 1788, très rigoureux à Venise… Le Canal Grande avec l’église de la Salute, vue de Santa Maria Zobenigo et la Punta della Dogana de l’école de Canaletto …




On passe maintenant dans la salle de Longhi…
Tintoretta
Tu ne vas pas me dire que le plafond est de Longhi !
Pepe Roncino
Non, le plafond est bien de Tiepolo : il s’agit du Triomphe de Zéphir et Flore… Aux murs sont accrochés 34 petits cadres de Pietro Longhi, un autre grand peintre du settecento vénitien.






Sa spécialité était la pittura di genere, la peinture de genre : ses œuvres étaient tirées d’épisodes de la vie quotidienne ; les védutistes montraient les paysages, tandis que les « généristes » montraient les personnages, dans leur vie privée ou dans l’exercice de leur métier. Regarde ! D’abord La Cioccolatina del mattino : on voit une dame, encore au lit, qui offre une tasse de chocolat chaud à l’abbé et au chevalier servant… Puis La Toletta della dama scesa dal letto : la dame est cette fois sortie du lit et fait sa toilette ! Puis La Polenta : cette fois, on est à l’heure du déjeuner ! Sur cette toile : Studio del pittore, il s’agirait de Longhi lui-même en train de peindre le portrait d’une dame… Puis La passeggiata a cavallo con i ritratti di due graziosi giovanetti : la promenade à cheval avec le portrait de deux gracieux jeunes hommes… La Visita al convento... La visita della dama al giovane signore… La Bauta in visita…


Tintoretta
Que signifie bauta ?
Pepe Roncino
Je regarde sur l’encyclopédie en ligne Treccani : La bauta était un costume vénitien du XVIIème siècle, composé d’un pardessus noir en soie avec une capuche sur laquelle on mettait le chapeau tricorne noir, et auquel on ajoutait généralement un masque. Par la suite, la bauta a désigné uniquement un type de masque, découpé de façon à découvrir la bouche… On a maintenant le Concertino di famiglia…puis la Famiglia patrizia réunie pour se faire faire le portrait…
Tintoretta
Il y a un géant sur ce tableau !
Pepe Roncino
En effet ! C’est le portrait du géant Cornelio Magrat : c’était un irlandais venu à Venise en 1757… Regarde ! Voici le portrait de Francesco Guardi, qui date de 1764… Ici, c’est un bal populaire : la Furlana… Les Alchimistes…
Tintoretta
Un rhinocéros !


Pepe Roncino
Oui, curieusement, Pietro Longhi a souvent peint des rhinocéros… la Vendeuse de frittelle, de beignets… l’Ambasciata del Moro, du Maure… et enfin de petites scènes du carnaval vénitien où l’on retrouve la bauta : le Charlatan qui prédit la bonne aventure, le Chiromancien qui lit les lignes de la main…


On repasse par le Portego dei dipinti… et on se rend dans la salle du Ridotto et du Parloir.
Tintoretta
C’est quoi le ridotto ?
Pepe Roncino
Le ridotto était l’équivalent de casino, dont je t’ai parlé hier sur le campo San Barnaba. Dans le dictionnaire à la fin de l’ouvrage de Bouquins sur Venise, on précise que ridotto est le participe passé du verbe ridursi, qui signifie « se rendre quelque part ».
Tintoretta
Il y en avait un au-dessus du café Lavena !
Pepe Roncino
En effet ! Sur ce tableau, est représenté le ridotto de San Moïse, ouvert en 1638 et fermé en 1774… Cette salle est dite aussi « du parloir » du fait de ce tableau sur le parloir des religieuses du couvent de San Zaccaria… Ces deux tableaux sont de Francesco Guardi et de son frère Antonio… On retrouve quelques tableaux de Pietro Longhi. Regarde ces scènes de famille : la Dame malade évanouie et la Mamma e il suo bambino… On entre maintenant dans un passage où l’on peut admirer un beau paysage de Francesco Zuccarelli… On descend deux marches pour se retrouver dans la camera della spinetta. L’épinette, c’est cet instrument de musique à clavier et à cordes… Ici, c’est un portrait du pape de la famille Rezzonico : Clément XIII, par Pietro Longhi… On prend la porte du fond et on arrive dans une pièce où a été reconstituée la villa des Tiepolo à Zianigo, à une vingtaine de kilomètres de Venise… Cette villa a été acquise par les Tiepolo en 1758 et décorée par Giandomenico. Lorsque la villa changea de propriétaire, la Commune de Venise, aidée par l’Etat italien, racheta les fresques, qui furent recomposées dans ce palais Rezzonico...
Tintoretta
Heureusement ; ça aurait été dommage de ne plus les voir !
Pepe Roncino
On passe maintenant par le portique d’entrée… puis par ce passage… et on arrive dans le Portego del Mondo novo… On la traverse rapidement car il n’y a rien de notable et notre visite est encore longue ! On prend à droite pour arriver dans la camera dei Pagliacci…
Tintoretta
C’est quoi les pagliacci ?
Pepe Roncino
Ce sont des clowns ! On retourne au « Portego des peintures » pour se rendre dans la chiesetta, la petite église… Les fresques sont de Giandomenico Tiepolo… On retourne au « Portego » et après avoir traversé un petit passage, on arrive dans le Camerino dei Centauri…
Tintoretta
Il n’y a pas que des centaures, il y a aussi un perroquet !
Pepe Roncino
En effet ! On entre dans la dernière pièce du deuxième étage : la camera dei Satiri… On retourne sur nos pas, on traverse de nouveau le Portego des peintures et on monte au troisième étage… Dans ce dernier étage, on retrouve des représentations et des reconstitutions des costumes et, de façon plus générale, de la vie vénitienne du settecento. On visite d’abord cette salle où sont exposés des dessins des Tiepolo… On prend ensuite à droite pour entrer dans la salle des costumes…
Tintoretta
Très intéressant de voir la mode de l’époque !
Pepe Roncino
La mode du settecento à Venise était très influencée par la France… On prend la porte à gauche pour entrer dans le passage vers la pharmacie… Nous voici dans la pharmacie ! Ici, est reconstituée une pharmacie telle qu’elle se trouvait sur le campo San Stin jusqu’en 1908. Elle s’appelait la Farmacia ai due San Marchi.
Tintoretta
On voit une autre enseigne : al San Marco.
Pepe Roncino
Oui, c’est parce que la vraie enseigne a été perdue ! Mais cette enseigne est bien settecentesca. Aujourd’hui, sur le campo San Stin, il y a toujours une pharmacie à cet emplacement mais elle n’a rien conservé de l’antique pharmacie, qui se trouve en fait ici.
Tintoretta
On passera sur le campo San Stin ?
Pepe Roncino
Oui, lorsqu’on visitera l’îlot San Rocco. Le laboratoire et l’arrière-boutique ont été également reconstitués…. On passe maintenant dans le théâtre des marionnettes… Et maintenant dans une petite salle de passage où sont rassemblées des peintures de Pietro Longhi ou dans le style de Pietro Longhi : par exemple cette Réunion de famille… Dans la salle suivante, on trouve des fac-similés de dessins de Francesco et Antonio Guardi… Puis, dans cette salle, des œuvres d’Andrea Brustolon, de Giacomo Piazzetta et de Giovanni Maria Morleiter… Pour terminer notre visite, trois salles où sont exposées des céramiques vénitiennes du settecento…
Tintoretta
Cette visite a été très longue mais très intéressante !
Pepe Roncino
Oui, avec le palais des doges et les galeries de l’Académie, c’est la visite la plus importante de notre voyage !
On va maintenant se promener dans le jardin…








On sort maintenant...




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Tintoretta
On va visiter la Cà Foscari maintenant ?
Pepe Roncino
On ne pourra pas vraiment la visiter mais on va rentrer dans la cour. Surtout, l’itinéraire pour y aller est très agréable ; on prend d’abord cette ruelle à droite, la calle de le Botteghe…puis encore à droite, la calle Bernardo…puis, tout de suite à gauche la calle del Cappeller…. Regarde, cette jolie petite place avec cet arbre au milieu !
Tintoretta
Il y a deux librairies, on voit qu’on se rapproche de l’Université !
Pepe Roncino
En effet, on arrive dans la Cà Foscari…voici la Cà Foscari ! On rentre dans la cour pour voir de plus près l’endroit où tu feras de brillantes études !








Tintoretta
En tout cas, ça donne envie !
Pepe Roncino
Oui, c’est un très beau palais. Il fut édifié une première fois vers 1400 par les Giustinian, qui avaient un palais juste à côté, qu’on a vu ce matin.
Tintoretta
Le palais où Wagner séjourna ?
Pepe Roncino
Tout à fait ! Le doge Francesco Foscari acquît la future Cà Foscari en 1452 mais la fit abattre pour la remplacer par le palais dans sa forme actuelle. C’est un des plus beaux exemples du style gothique au XVème siècle. Regarde le portail : il est orné de putti qui soutiennent le blason des Foscari. Francesco Foscari occupa la charge de doge de 1423 à 1457.
Tintoretta
Il a donc été doge pendant 24 ans !
Pepe Roncino
Oui, ce fut un des dogats les plus longs de l’histoire de la République de Venise. Par la suite, le palais changea plusieurs fois de propriétaire avant d’être acquis par la commune de Venise au XIXème siècle pour devenir le siège central de l’Université de Venise.
Tintoretta
C’est bien que l’Université se trouve dans un aussi beau palais. Suivre des cours dans une salle donnant sur le Grand Canal, ça doit être grandiose !
Pepe Roncino
En effet, c’est une chance qu’il faut savoir mériter puis apprécier…
Regarde en sortant ce beau capitello…


Maintenant, nous allons rentrer tranquillement nous reposer un peu dans notre gondole.
Tintoretta
On a fini notre visite de l’îlot ?
Pepe Roncino
Oui, on va repasser par le campo Santa Margarita.
Tintoretta
On dit campo Margherita ou Margarita ?
Pepe Roncino
Les deux mais les vénitiens disent plutôt Margarita…
Tintoretta
Et après, on revient sur nos pas de ce matin ?
Pepe Roncino
Oui, on passe par le campo dei Carmini puis la fondamenta del Soccorso, puis la fondamenta di San Sebastiano…
Tintoretta
Puis San Basegio !
Pepe Roncino
Oui, la fondamenta San Basegio puis le campo San Basegio, le long duquel se trouve notre gondole…
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Tintoretta
Notre gondole est toujours là ! Ce soir, tu me raconteras l’histoire d’Othello ?
Pepe Roncino
Oui, comme promis. Mais maintenant, je fais une petite sieste.
Tintoretta
Comment on dit ça en italien ?
Pepe Roncino
Pisolino !
Tintoretta
C’est mignon ! Du coup, je vais en faire un aussi de pisolino……………………………
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Tintoretta
T’as fait un long pisolino, Pepe !
Pepe Roncino
Oui, en effet ! C’est que j’en avais besoin !
Tintoretta
On se promène un peu avant le dîner ?
Pepe Roncino
Oui, histoire de bien se réveiller ! On va voir un campiello bien caché : le campiello Balastro puis on se promènera sur les Zattere.
Tintoretta
C’est loin d’ici ?
Pepe Roncino
Non, il suffit de reprendre la fondamenta de San Basegio et de prendre la deuxième ruelle à droite, sous le sottoportego, la calle Balastro…


Nous voici sur le campiello Balastro !




Juste à côté, il y a le squero Tramontin...


Tintoretta
Ah, un autre squero !
Pepe Roncino
Oui, c'est le second que l'on voit ; on n'en verra pas d'autres...
On va maintenant rejoindre le campo San Basegio par le campiello Sartorio puis la calle della chiesa. Puis on retourne sur les Zattere pour prendre une ruelle à gauche. je vais te montrer un jardin dans lequel est reproduit l'écosystème de la lagune...
Nous voici dans le jardin !


Tintoretta
C'est magnifique !




Pepe Roncino
Demain, on visite San Sebastiano.
Tintoretta
Ah oui, c’est de l’autre côté du canal où se trouve notre gondole !
Pepe Roncino
Oui, on n’aura pas un long trajet à faire car en plus, l’îlot est petit.
Tintoretta
L’îlot d’aujourd’hui est très grand !
Pepe Roncino
Oui, et très intéressant : il longe à la fois le Grand Canal et celui de la Giudecca ; on peut y visiter une très belle église, une très belle Scuola, un très beau musée ; on peut se promener sur une des plus grandes places de Venise et sur ces Zattere, l’endroit le plus agréable pour se promener…
Tintoretta
C’est vrai, ici, sur les Zattere, on a de l’espace et on respire mieux que dans les ruelles ; même si j’aime beaucoup aussi me promener dans les ruelles !
Pepe Roncino
Venise présente des visages très différents. Il n’y a pas une seule Venise, mais plusieurs.
Tintoretta
Soixante-douze, Pepe, comme le nombre des îlots que l’on visite !
Pepe Roncino
Tout à fait, ma Tintoretta ! Allez, il est temps de rentrer !
Tintoretta
Nous voilà de retour à la gondole ! Tu me racontes Othello ?
Pepe Roncino
Dans la tragédie de Shakespeare, Othello était appelé le Maure de Venise, c’est-à-dire une personne originaire de l’ancienne Mauretania, une région du nord de l’Afrique. En latin, maurus signifiait « africain ». En italien, moro. Or, il se trouve qu’un certain Cristoforo Moro, un patricien de Venise, fut envoyé comme lieutenant à Chypre en 1505 et revint à Venise trois années plus tard, ayant perdu sa femme au cours du voyage. En 1515, l’année où François Ier et ses alliés Vénitiens battirent les Milanais et les Suisses à Marignan, au sud-est de Milan, Cristoforo Moro se maria en secondes noces avec une fille de Donato da Lezze, surnommé le « Demonio bianco », le démon blanc. En 1565, un certain Giambattista Giraldi Cinzio, de Ferrare, écrivit une nouvelle qui s’inspirait de ces éléments, mais le Moro de nom était devenu un Moro de peau. En 1604, Shakespeare en fit de même. « The tragedy of Othello the Moor of Venice » est le titre officiel de la tragédie ; le fait qu’Othello soit un Maure, c’est-à-dire un étranger, un homme de couleur de surcroît, est très important. On ne sait pas comment il est arrivé à Venise ; on sait simplement qu’il est le général en chef de l’armée de la République de Venise.
La tragédie de Shakespeare commence dans une rue de Venise, la nuit. Iago, l’enseigne d’Othello, informe Roderigo que Desdémone, dont il est amoureux, va se marier en secret avec Othello. Iago en veut à Othello car il vient de nommer Cassio comme lieutenant plutôt que lui ; il veut donc associer Roderigo à son ressentiment. Ils décident d’aller révéler ce projet de mariage au père de Desdémone, Brabantio. Cette dénonciation ne va pas permettre de faire échec au mariage car Othello et Desdémone vont réussir à convaincre Brabantio de leur amour mutuel et surtout qu’Othello n’est pas un « voleur » comme Iago et Roderigo ont voulu le faire croire. Iago va alors manipuler Roderigo de façon diabolique. Il va le convaincre de provoquer Cassio en duel ; lui-même fait en sorte de le faire boire avant, sachant que Cassio ne supporte pas l’alcool. Il l’accuse devant Othello. Comme il l’espérait, Desdémone, qui appréciait Cassio, va intercéder en sa faveur auprès d’Othello. Et Iago va alors convaincre Othello que Desdémone a été séduite par Cassio. Rendu fou de jalousie, Othello va finir par tuer Desdémone avant de se tuer lui-même.
Tintoretta
Une fin tragique !
Pepe Roncino
D’autant plus tragique qu’après avoir tué Desdémone, il apprend qu’elle lui a toujours été fidèle. C’est d’ailleurs pour cela qu’il se tue.
Tintoretta
Je préfère Roméo et Juliette. Je pense que Roméo n’aurait jamais tué Juliette !
Pepe Roncino
Sais-tu que Roméo et Juliette est inspirée d’une histoire vraie qui ne se passa pas à Vérone mais à Montecorvino Rovella, près de Salerne ?
Tintoretta
Il n’y a donc pas eu de balcon de Juliette ?
Pepe Roncino
Non, c’est un certain Antonio Avena, le directeur du musée civique de Vérone, qui fixa de lui-même, au XXème siècle, les lieux de l’histoire de Roméo et Juliette : la maison des Capulets, le balcon, la tombe de Juliette…
Tintoretta
Dans la vraie histoire, les protagonistes s’appellent aussi Roméo et Juliette ?
Pepe Roncino
Non, ils s’appelaient Davide et Maria Teresa.
Tintoretta
Et ça se termine comme Roméo et Juliette ?
Pepe Roncino
Non, ça se termine bien ; l’amour finit par triompher de la haine des deux familles.
Tintoretta
Tant mieux ! Le dénouement de Roméo et Juliette me fait toujours enrager !




L'ultimo bacio dato a Giuletta da Romeo, Francesco Hayez
Villa Carlotta, Tremezzo