Le Voyage en Gondole : 11ème et 12ème jours
Le voyage en gondole de Pepe Roncino et Tintoretta se poursuit : ils vont pour la première fois dormir dans un hôtel ! Ils vont également déguster une pizza sur une grande place, tranquille : le campo San Polo !
Emeric Cristallini
9/20/202522 min temps de lecture


Onzième jour : Palazzo Barbarigo
Pepe Roncino
Aujourd’hui, pour notre 11ème jour, on va rejoindre un hôtel au bord du Grand Canal.
Tintoretta
On va y dormir ?
Pepe Roncino
Oui, ma Tintoretta, on va y dormir. J’ai réservé deux chambres avant de partir.
Tintoretta
Chouette ! On aura une vue sur le Grand Canal ?
Pepe Roncino
Oui, au rez-de-chaussée ; on pourra presque toucher l’eau ! On prend le rio des Frari sur la droite… On suit le cours du canal… On longe le palais Centani, où est né Carlo Goldoni, que l’on visitera….On arrive sur le Grand Canal…. On tourne à gauche… Le palais Barbarigo est accolé au palais Pisani-Moretta. Le palais Pisani-Moretta, de style gothique fleuri, date du XVème siècle. Joséphine de Beauharnais, la première épouse de Napoléon Ier y vécut. On arrive au palais Barbarigo, qui abrite notre hôtel. On va garer notre gondole devant l’entrée.


Ce palais doit son nom à un de ses anciens propriétaires, Marco Barbarigo, qui fut doge de 1485 à 1486…. Tu auras la chambre 6, juste à côté de l’entrée sur le Grand Canal… Et moi, j’aurai la chambre juste à côté. On sera au rez-de-chaussée, tout au bord du Grand Canal. Au second étage, le grand écrivain Gabriele D’Annunzio fit quelques séjours, entre 1919 et 1924….
Tintoretta
Je suis très contente de ma chambre. C’est merveilleux de voir le Grand Canal de sa fenêtre !
Pepe Roncino
C’est vrai ! On va maintenant visiter cet îlot. On sort par l’arrière de l’hôtel, dans une calle très étroite, la calle Corner… Au bout de cette calle, on prend à gauche… On arrive devant le palais Centani, où est né Carlo Goldoni. Il raconte dans ses Mémoires : « Je suis né à Venise, l’an 1707, dans une grande et belle maison, située entre le pont de Nomboli et celui de Donna Onesta, au coin de la rue de Cà Cent’anni sur la paroisse de Saint Thomas. »
Tintoretta
Le pont de la dona Onesta, c’est celui près duquel on a dîné avant-hier ?
Pepe Roncino
Oui ; en réalité, ce palais Centani se trouve entre le pont de San Tomà, qui s’appelait peut-être « des Nomboli » du temps de Goldoni, et le pont du Traghetto…


Entrons dans ce palais ! Il a été construit au XVème siècle. En 1931, le palais a été légué à la ville de Venise, qui l’a transformé, en 1952, en musée et Institut d’études théâtrales. Entrons faire une petite visite ! La cour intérieure est très belle !


On prend ce bel escalier pour monter au premier étage…






Tintoretta
Goldoni s’est beaucoup inspiré de la Commedia dell’arte ?
Pepe Roncino
Oui, mais il l’a aussi réformée : notamment en écrivant intégralement les textes au préalable, alors que dans la Commedia dell’arte, les acteurs improvisaient…
Tintoretta
Je n’ai pas lu ses mémoires mais celles de Carlo Gozzi, son grand rival et ennemi !
Pepe Roncino
Qui, lui, est mort à Venise, en 1806, à 86 ans ! Regarde ce théâtre de marionnettes !




On va maintenant chez Tragicomica, qui est presque en face quand on sort du palais, rio terra dei Nomboli, au 2800…. Nous y voilà ! Entrons et choisissons un masque pour chacun…
Tintoretta
Je suis très contente de mon masque, il y a plein de couleurs, et le Rialto peint, ça fait vraiment vénitien !
Pepe Roncino
Regarde ! Dans la calle Amor degli Amici, on voit l’arrière de la boutique !




Une légende est liée à cette calle.
Ici habitait un bareter, un chapelier, qui était ami d’un spadaio, un fabricant d’épées. Le bareter avait remarqué qu’à chaque fois que son ami spadaio s’éloignait de sa boutique – qui était aussi sa demeure - un jeune noble y entrait. Le bareter en parla à son ami qui lui expliqua que ce jeune noble lui avait commandé un stylet et que très probablement il passait à la boutique pour s’enquérir de l’avancement du travail.
Pas vraiment convaincu, le bareter suivit le jeune noble et par chance arriva juste à temps pour empêcher le jeune noble de violer la jolie épouse du spadaio. Il fut banni de Venise durant six mois pour avoir blessé le jeune noble avec le stylet, qui venait d’être terminé.
Mais l’amitié du spadaio en sortit décuplée, à tel point que cette calle fut renommée la calle « amor degli amici », l’amour des amis !
Tintoretta
C’est la même histoire que celle de la Dona onesta !
Pepe Roncino
Oui, mais avec une fin heureuse !
On va maintenant rejoindre la calle dei Saoneri par le rio terà dei Nomboli… Puis prendre à gauche la calle seconda dei Saoneri… On va visiter une très belle cour, la corte Moro…




Maintenant, regarde ce petit rio, le rio Amalteo : le rio terà sur lequel on se trouve était auparavant la prolongation de ce petit tronçon de rio.
Tintoretta
Comme le rio terà canal sur le campo Santa Margherità ?
Pepe Roncino
Sauf qu’ici, on voit encore une partie du rio. Comme demain, sur le campo San Polo… On va passer sous ce sottoportego, le sottoportego Amaltea pour entrer sur cette cour au bord du canal de San Polo…








On retournera ce soir dans cette corte Amaltea pour voir le palais en face illuminé aux couleurs de l’Italie.
Tintoretta
On dînera où ce soir ?
Pepe Roncino
Da Ignazio ! On va justement retourner calle dei Saoneri pour y déjeuner et réserver pour ce soir… Mais avant, on prend à droite la calle del Forno au bout de laquelle on voit un très beau palais de l’autre côté du canal...






Après cet excellent déjeuner, on va au bout du rio terà dei Nomboli, d’où on a une très belle vue sur le campanile de l’église San Polo…


Tintoretta
Je suis contente de retrouver ma chambre près du Grand Canal !
Pepe Roncino
Je vais te raconter un peu Goldoni… Il a commencé à voyager très jeune ; il n’a vraiment découvert Venise qu’à 15 ans. Il raconte dans ses Mémoires, qu’il a écrites en français, ce qui l’a frappé le plus : « une perspective surprenante au premier abord, une étendue très considérable de petites îles si bien rapprochées et si bien réunies par des ponts, que vous croyez voir un continent élevé sur une plaine, et baigné de tous les côtés d’une mer immense qui l’environne. Ce n’est pas la mer, c’est un marais très vaste plus ou moins couvert d’eau, à l’embouchure de plusieurs ports, avec des canaux profonds qui conduisent les grands et les petits navires dans la ville et aux environs… »
Il ne vécut durablement à Venise que de 1735 à 1743, puis de 1748 à 1762. Ensuite, il partit s’installer à Paris, où il vécut les trente dernières années de sa vie. Il exerce auprès de la Cour, à Versailles, qui lui accorde une pension. A la Révolution, sa pension fut supprimée. Le décret la lui rétablissant fut publié le 7 février 1793. Trop tard : il était mort la veille, dans la misère…
De nos chambres, on voit, de l’autre côté du Grand Canal, le ramo del teatro sur lequel se trouvait le théâtre Sant’Angelo où plusieurs comédies de Carlo Goldoni furent jouées pour la première fois, de 1748 à 1753, dont la Locandiera, une des plus connues. Regarde, à droite de l’embarcadère ! Le palais Barozzi a été construit à cet emplacement, palais qui abrite aujourd’hui un hôtel…
Pour finir, je vais te lire la scène II de l’acte I d’Il Bugiardo, Le menteur..
Lélio, le menteur, et son valet Arlequin se promènent au bord d’un canal. Rosaura et Beatrice, les filles du Docteur Balanzoni sont sur leur balcon et viennent d’écouter une sérénade chantée d’une péotte – une grande gondole - par Florindo, qui apprend la médecine auprès du Docteur chez lequel il habite, et qui est secrètement amoureux de Rosaura…
« Lélio : Hein, qu’en dis-tu Arlequin ? Quelle belle ville que Venise ! Ici, on s’amuse en toute saison. Maintenant que la chaleur vous invite à vous promener la nuit pour respirer, on entend de magnifiques sérénades comme celle-ci !
Arlequin : Moi, cette sérénade, je trouve qu’elle ne valait rien.
Lélio : Ah oui ? pourquoi ?
Arlequin : Parce que, moi, je n’aime que les sérénades où l’on chante et où l’on mange.
Lélio : Regarde, regarde, arlequin, ces deux dames qui sont sur le balcon. Je les ai déjà vues de la fenêtre de ma chambre et, bien que ç’ait été au moment où le soir tombait, elles m’ont paru fort belles.
Arlequin : Pour vous, monsieur, d’une manière ou de l’autre, toutes les femmes sont belles ! A Rome, Mme Cléonice vous semblait, elle aussi, ravissante, mais vous ne l’en avez pas moins abandonnée.
Lélio : Je ne me souviens même plus d’elle. Pour s’attarder autant sur leur balcon, ces deux dames m’incitent à croire qu’elles ne sont sans doute pas des plus farouches. Je veux tenter ma chance.
Arlequin : C’est-à-dire que vous allez leur débiter vingt mensonges tous les deux mots !
Lélio : Tu es un impertinent ! Ce que tu appelles des mensonges, ce sont de spirituelles inventions.
Arlequin : Vous feriez mieux d’aller chez M. Pantalon, votre père.
Lélio : Il est à la campagne. Quand il sera de retour à Venise, j’irai chez lui.
Arlequin : Et en attendant, vous voulez loger à l’hôtellerie ?
Lélio : Oui, pour profiter de ma liberté. C’est fête et je veux m’amuser. Il y a vingt ans que j’ai quitté ma chère patrie. Observe comme au clair de lune ces deux dames ont l’air belles. Avant de lier conversation avec elles, je désirerais en savoir plus long sur elles. Fais une chose, Arlequin : va à l’hôtellerie et demande à l’un des valets qui elles sont, si elles sont belles et comment elles se nomment.
Arlequin : Pour savoir tout ça il faudrait un mois !
Lélio : Allons, dépêche-toi : je t’attends ici.
Arlequin : Mais cette manie de vouloir savoir des choses sur les gens…
Lélio : Ne fais pas en sorte que la colère m’incite à te battre.
Arlequin : Pour vous éviter cette peine, je cours aux renseignements… »
Lélio, le menteur, leur fait croire qu’il était l’auteur de cette sérénade. Il se présente à elle comme un gentilhomme napolitain, Don Asdrubal, marquis Del Castel d’Oro. Rosaura et Béatrice, après avoir entendu Lélio débiter ses mensonges, se retirent dans leurs chambres. Sur le balcon, apparaît Colombine, leur femme de chambre. Arlequin prend alors exemple sur son maître en se présentant comme un gentilhomme et en prétendant être l’auteur de la sérénade.
Dans la scène suivante, Florindo confie une bourse à Brighella, son valet et confident, pour qu’il achète une garniture de dentelles de Flandre. Il souhaite l’offrir à Rosaura, mais sans qu’elle sache que ce cadeau vient de lui, car il n’ose pas se déclarer. Brighella part faire la commission à la Merceria, où l’on se promènera quand on sera à San Salvador. Arrive Ottavio, un ami de Florindo, qui est, lui, amoureux de Béatrice. Il demande à Florindo s’il est l’auteur de la sérénade. Celui-ci lui dit que non et nie être amoureux de Rosaura, ce qui éveille chez Ottavio le soupçon qu’il pourrait être son rival auprès de Béatrice. Florindo s’en va.
Lélio, qui sort de l’hôtel, croise Ottavio, avec qui il est ami. Il s’enquiert auprès de lui sur Rosaura et Béatrice. Ottavio feint de ne pas les connaître. Lélio prétend qu’il est l’auteur de la sérénade, qu’elles sont toutes les deux tombées amoureuses de lui et même, qu’il s’est fait inviter chez elles en leur offrant un somptueux dîner. Ottavio part. Arrivent alors Rosaura et Colombine, qui sortent, masquées, de chez le Docteur car on est au premier jour de la grande foire de l’Ascension, qui durait alors quinze jours. Lélio prétend reconnaître Rosaura, et lui déclare son désir de se marier avec elle. Le commis de la Merceria arrive alors avec la boîte contenant les dentelles. Lélio prétend être l’auteur de ce cadeau.
Dans la scène suivante, qui se passe dans une gondole, le docteur parle avec Pantalon du futur mariage de sa fille aînée, Rosaura, avec le fils de ce dernier, Lélio. En réalité, les deux ignorent ce qui s’est passé en leur absence. Il ne connaissant donc pas les manœuvres mensongères de Lélio et ne savent pas qu’il a obtenu de Rosaura la promesse de l’épouser en se faisant passer pour un autre. On apprend que Pantalon a envoyé son fils à Naples alors qu’il était tout petit, il y a vingt ans de cela et qu’il ne le reconnaîtrait pas s’il le voyait.
Et en effet, il ne le reconnaît pas dans la scène suivante, où Lélio se fait passer pour un autre, tout en disant du bien sur lui-même. Mais voyant Ottavio sortir de l’hôtel, Pantalon lui demande s’il a vu son fils. Ottavio lui désigne alors Lélio, qui, se voyant découvert, dit à son père qu’il voulait lui faire une plaisanterie. Pantalon part alors chez lui avec son fils.
C’est alors que le Docteur sort de chez lui et croise Ottavio. Il lui annonce qu’il lui donne la main de sa fille Béatrice mais, à sa grande surprise, ce dernier la refuse en se plaignant de sa conduite dévergondée. Il lui révèle ce dont Lélio s’est vanté, à savoir qu’elle et sa sœur auraient reçu un étranger chez elles la nuit dernière.
Arrivé chez lui et après avoir fait des reproches à ses filles, le docteur interroge Florindo qui lui répond que personne n’est entré les voir. Colombine entre alors en criant secours car Rosaura s’est évanouie. Le Docteur demande à Florindo d’aller auprès de sa fille pendant qu’il va chercher des sels. Florindo, en tâtant le pouls de Rosaura s’évanouit à son tour.
Les deux sont réanimés en même temps grâce aux sels. Rosaura apprend alors à son père qu’un gentilhomme étranger souhaite l’épouser. Le Docteur lui dit alors qu’il est prêt dans ce cas de se dégager de la promesse faite à Pantalon de la marier à son fils.
Béatrice arrive alors et prétend que ce gentilhomme la préfère à sa sœur. Tandis que les sœurs se querellent sur le sujet, Ottavio se présente. Les deux sœurs, sans le laisser se justifier, le traitent de menteur et s’en vont.
Le Docteur revient alors et apprend d’Ottavio que le menteur est Lélio. Entretemps, Pantalon apprend à son fils qu’il lui a trouvé une épouse. Celui-ci, ne sachant pas qu’il s’agit de Rosaura, prétend alors s’être déjà marié, lorsqu’il était à Naples.
De son côté, Florindo, ayant appris que le docteur s’apprêtait à marier Rosaura, il lui compose un sonnet qu’il envoie sur son balcon. Mais, encore une fois, Lélio, qui passait par là, prétend en être l’auteur. Le docteur arrive alors et demande à Rosaura de rentrer. Il commence à s’entretenir avec Lélio lorsqu’Ottavio se joint à eux en apostrophant ce dernier. Au docteur, il apprend qu’il s’agit de Lélio, le fils de Pantalon. Et il provoque Lélio en duel, avant que le docteur ne lui demande de le suivre.
Pendant ce temps, Brighella apprend à Florindo que Rosaura va être mariée à un imposteur. Les impostures de Lélio sont découvertes aussi par son père, grâce à deux lettres reçues de Naples et de Rome, la première attestant qu’il n’est pas marié et la seconde qu’il a promis le mariage à une romaine, Cléonice. Le Docteur, de son côté, apprend à Rosaura que le prétendu gentilhomme est en fait Lélio mais qu’il est déjà marié, ne sachant pas encore ce que Pantalon vient de découvrir. Lélio, quant à lui, ne s’avoue pas vaincu. Il retourne voir le Docteur en lui disant qu’il n’est pas marié et que c’est son père qui a menti parce qu’il souhaitait se dédire, venant de recevoir une offre de dot plus intéressante. Le Docteur accepte alors de lui accorder la main de sa fille.
Heureusement, Pantalon arrive alors pour démasquer le nouveau mensonge de son fils. Celui-ci invoque alors son amour pour Rosaura, tellement puissant qu’il lui a inspiré la sérénade et le sonnet. C’est alors qu’intervient Florindo qui, appuyé par Brighella, révèle que c’est lui l’auteur de la sérénade et du sonnet. Arlequin arrive alors pour annoncer que Cléonice est arrivée à Venise. C’est l’occasion de découvrir un autre mensonge de Lélio, qui prétendait que cette femme qu’il avait fuie était une femme de mauvaise vie, ce qu’Arlequin lui-même dément. Devant tous ces mensonges de Lélio, Rosaura refuse de se marier avec lui. Elle veut lui rendre les dentelles. Florindo lui apprend alors que c’est lui qui lui a fait ce cadeau, ce que confirme Brighella. La comédie se termine par ces derniers échanges :
« Lélio : Le silence de M. Florindo m’a incité à profiter de l’occasion pour me faire un mérite auprès de deux beautés. Pour soutenir la fable, j’ai commencé à dire quelques mensonges, mais les mensonges sont si féconds par nature qu’un seul suffit pour en engendrer cent. A présent, il va falloir que j’épouse la Romaine. Monsieur le Docteur, madame Rosaura, je vous demande humblement pardon et je vous promets que je ne dirai jamais plus de mensonges.
Il sort.
Arlequin : Ce refrain-là, moi je le connais par cœur. Jamais plus de mensonges, mais parfois quelques spirituelles inventions !
Le Docteur : Allons, Rosaura va épouser M. Florindo et M. Ottavio, Béatrice.
Ottavio : Nous allons être quatre personnes heureuses et nous goûterons les fruits de nos sentiments sincères. Nous autres, nous aimons toujours la si belle vérité, car nous avons appris de notre menteur que les mensonges rendent l’homme ridicule, infidèle et odieux à tous, et que, pour ne pas être menteur, il faut parler peu, aimer la vérité et penser au résultat qu’on vise. »








Douzième jour : San Polo


Pepe Roncino
T’es prête Tintoretta ?
Tintoretta
Oui, j’ai passé une nuit merveilleuse au bord du Grand Canal !
Pepe Roncino
Aujourd’hui, on visite l’îlot de San Polo.
Tintoretta
C’est l’îlot qui a donné son nom au sestiere ?
Pepe Roncino
C’est plutôt l’église qui a donné son nom à la place et au sestiere.
On prend tout de suite le rio de le Erbe sur la gauche… On s’arrête sur le campiello de le Erbe. Comme tu peux le remarquer, ce rio n’en rejoint aucun autre car il a été bouché. En 1761. On va d’ailleurs suivre son ancien cours par le campiello del Librer…. Puis par le campo San Polo. On longe le palais Tiepolo-Maffetti puis le palais Soranzo, très caractéristique du style gothique vénitien.


Tintoretta
C’est bizarre cette façade incurvée !
Pepe Roncino
C’est justement parce que cette façade suit le cours de l’ancien canal. C’est dans ce palais que Casanova fut engagé comme violoniste et qu’il connut une mésaventure qui eut des conséquences importantes sur sa jeunesse à Venise. Je te la raconterai ce soir.
On longe maintenant le palais Donà et on arrive sur le rio terà Sant’Antonio. Regarde ce rielo de Sant’Antonio ! C’est ici que l’ancien rio rejoignait le réseau des canaux. On retourne sur le campo San Polo.
Tintoretta
Il y a une belle terrasse ici !
Pepe Roncino
Oui, c’est une bonne pizzeria. On s’y arrête pour déjeuner….
Pepe Roncino
On se promène un peu sur la place avant de visiter l’église…












On va maintenant du côté opposé de l’ancien rio jusqu’au campiello del Librer en longeant les palais incurvés…




C’est ici que l’ancien rio rejoignait le réseau des canaux.


Après le campiello del Librer, on prend la fondamenta de le Erbe pour arriver sur le campiello de le Erbe…






On va voir le campiello de la Madonna à côté…
Regarde ce beau capitello !




Et maintenant, on va voir la Madoneta sous le sottoportego !


Allez ! On va visiter l’église San Polo. San Polo est la contraction de San Paolo. C’est une des églises les plus anciennes de Venise : elle a été érigée au IXème siècle, dans le style byzantin, que l’on retrouve surtout sur la façade, même si le porche, en face du campanile, est de style gothique… Le style gothique que l’on retrouve à l’intérieur.
Tintoretta
J’aime beaucoup le plafond en bois !


Pepe Roncino
Et tu vas aimer encore plus les toiles qui décorent l’église !
Tintoretta
Ah oui, il y a des toiles du Tintoret ?
Pepe Roncino
Oui, à gauche, on trouve une Ultima Cena…


Et au premier autel sur la droite, Assunta e santi (l’Assomption et les saints) : cette toile est plutôt l’œuvre de l’Ecole du Tintoret… De cette église, on accède à l’oratorio del Crocefisso où sont exposées les quatorze toiles de Giandomenico Tiepolo sur la Via Crucis, le chemin de croix.
Tintoretta
Giandomenico était le fils de Giambattista ?
Pepe Roncino
Oui, le grand Tiepolo, qui réalisa le magnifique plafond de la Scuola dei Carmini… Regarde cette série de toiles ! C’est l’histoire du chemin de croix du Christ…










On retourne sur le campo…. A côté de l’église, on trouve un très grand puits, une vera da pozzo.
Tintoretta
Une très belle vera da pozzo ! Et une fontaine qui fait du bien !
Pepe Roncino
Sur cette place, il y avait plein d’activités, comme par exemple des courses de taureaux…
Pepe Roncino
On termine notre tour du campo en allant voir au fond à gauche le palazzo Corner-Mocenigo, construit en 1550 par Sanmicheli, où vécut le baron Corvo, de son vrai nom Frederick William Rolfe, un écrivain anglais du début du XXème siècle… On sort maintenant du campo par la salizzada San Polo, le long de l’église. On tourne tout de suite à gauche. On prend la calle del Magazzen… on passe sous ce sottoportego à gauche…


On arrive dans la Corte del Remer…


On reprend la calle del Magazzen sur la droite…
Tintoretta
Mais… On change d’îlot !
Pepe Roncino
Non, on passe au-dessus du rio de le Erbe qu’on a vu tout à l’heure. Comme ce rio est bouché au niveau du campiello del Librer, il ne délimite pas un îlot.
Tintoretta
Ah d’accord ! On se trouve donc derrière le campiello delle erbe !
Pepe Roncino
Tout à fait ! On passe sous le sottoportego Dolfin pour visiter le palazzo Vendramin Grimani…








Tintoretta
On retourne dîner à la pizzeria ?
Pepe Roncino
Oui, on continuera de profiter du campo…
……………………………………………………………………………………………………………..
Tintoretta
C’est maintenant le moment de l’histoire de Casanova !
Pepe Roncino
C’est dans le chapitre VI du tome second de l’Histoire de ma vie que Casanova raconte une mésaventure survenue en sortant du palais Soranzo. On était le 20 avril 1746. Girolamo Cornaro, l’aîné de la famille Cornaro de la reine de Chypre Caterina, dont je t’ai parlée il y a quelques jours, fêtait son mariage avec Canziana, une fille de la famille Soranzo, propriétaire de ce palais. Casanova fut engagé comme violoniste pour jouer dans l’orchestre qui animait la fête, qui dura trois jours. Les bals se tenaient dans le palais. Le troisième jour, vers la fin de la fête, une heure avant le lever du soleil, Casanova laisse l’orchestre pour rentrer chez lui, calle del Carbon, ruelle perpendiculaire à la riva del Carbon, près du Rialto, de l’autre côté du Grand Canal.
En descendant l’escalier, il remarque devant lui un sénateur en robe rouge qui descendait aussi les escaliers pour rejoindre une gondole qui l’attendait sur le rio Sant’Antonio qui n’avait pas encore été comblé sur cette portion, puisqu’il le sera en 1761. Les sénateurs portaient en effet une toge rouge avec des manches larges. Casanova voit une lettre tomber près du sénateur au moment où il sortait un mouchoir de sa poche. Il se précipite pour ramasser la lettre et rejoint le sénateur dans l’escalier. Il lui remet la lettre. Le sénateur le remercie, lui demande où il habite et, pour lui exprimer sa reconnaissance, l’invite à monter avec lui dans sa gondole pour le ramener chez lui.
Ils voguaient depuis trois minutes sur le rio Sant’Antonio – sur le tronçon qui s’appelle maintenant le riello Sant’Antonio - lorsque le sénateur prie Casanova de lui secouer le bras gauche. Il se plaint que ce bras est complètement engourdi. Casanova le secoue de toutes ses forces mais le sénateur lui dit avec des mots mal articulés que sa jambe gauche s’engourdit aussi et qu’il se sent mourir. Casanova comprend que le sénateur est en train de faire un malaise. Il tire le rideau de la felce, prend la lanterne et regarde le visage du sénateur : il voit avec effroi que sa bouche s’est retirée vers son oreille gauche et que ses yeux se ferment.
Au bout du riello Sant’Antonio, ils venaient de tourner à droite en contournant la Cà Bernardo et se trouvaient maintenant sur le rio San Polo. Il crie aux barcarols d’arrêter et de le laisser descendre pour aller chercher un chirurgien. Il pense que le sénateur fait une attaque d’apoplexie et qu’il faut d’urgence le saigner. Il descend sur la petite fondamenta Cà Bernardo, juste après le pont. Il court au café dans la calle del Scaleter où on lui indique la maison d’un chirurgien, toute proche, au n° 2235. Il frappe fort à la porte en criant ; on lui ouvre et on réveille le chirurgien qui dormait encore. Casanova le force à l’accompagner sans lui laisser le temps de l’accompagner. Le chirurgien prend son étui et accourt avec Casanova jusqu’à la gondole. Ils trouvent le sénateur moribond. Le chirurgien le saigne et Casanova déchire sa chemise pour lui faire un bandage. Le chirurgien, en se retirant, dit à Casanova que la saignée devrait faire effet rapidement mais lui conseille de le raccompagner chez lui pour le mettre au lit. Il apprend à Casanova qu’il s’agit du sénateur Matteo Giovanni Bragadin et qu’il habite près du campo San Marina, au bord du rio San Lio, en face de l’actuel Théâtre Malibran.
Casanova referme le rideau de la cabine et demande aux barcarols de les y conduire au plus vite. Le trajet était assez long : il fallait poursuivre en face par le rio delle due Torri jusqu’au Grand Canal puis aller rechercher à droite le rio San Giovanni Grisostomo de l’autre côté du Grand Canal et enfin prendre à gauche le rio de San Lio. La gondole était à peine arrivée au pied du palais que Casanova et les barcarols crient de toutes leurs forces pour réveiller les domestiques. Ils portent le sénateur au premier étage du palais. Celui-ci n’allait guère mieux. Casanova demande à un domestique d’aller chercher un médecin, qui lui fait une nouvelle saignée. Informés par les domestiques, deux amis du sénateur arrivent. Ils veillent Bragadin avec Casanova jusqu’à midi où ils déjeunent dans la chambre du moribond. Vers le soir, un des patriciens dit à Casanova qu’il pouvait partir s’il avait des affaires. Casanova lui répond qu’il dormirait toute la nuit dans son fauteuil s’il le fallait car il était certain que Bragadin ne mourrait pas tant qu’il resterait là. Il eut raison de rester. Vers minuit, le médecin eut l’idée d’apposer sur la poitrine du malade une onction de mercure. Bragadin fut pris très vite d’une grande effervescence à la tête. Le médecin prétendit que c’était le début de la guérison.
Toutefois, l’état du malade empirait à vue d’œil. Le médecin rentra chez lui, confiant malgré tout dans son remède. Mais peu de temps après, Casanova, voyant Bragadin tout en feu et dans une agitation mortelle, lui découvre la poitrine, lui lève l’emplâtre et le lave avec de l’eau tiède. Cinq minutes après, Bragadin allait mieux et tout le monde put aller se recoucher…
Bonne nuit Tintoretta !

